par Bernard Nave
Jeune Cinéma n°274, mars 2002
Sélection officielle en compétition de la Berlinale 2002
Sortie le mercredi 27 février 2002
Laissons de côté les réactions à l’affiche, les sempiternelles critiques adressées à Costa-Gavras, accusé d’être un cinéaste démonstratif et commercial. Amen mérite mieux que ces raccourcis qui, une nouvelle fois, accompagnent la sortie de son film. En rouvrant le dossier de l’attitude du Vatican et de Pie XII face au nazisme et aux camps de concentration, il se situe dans le droit fil d’une œuvre qui, inlassablement, cherche à questionner les responsabilités institutionnelles et individuelles dans les drames qui émaillent l’histoire récente. Parce qu’il ne se satisfait pas des cicatrices mal refermées, il maintient les consciences en éveil, particulièrement lorsque la mémoire tend à s’estomper ou que des intérêts occultent la vérité, en l’occurrence le Vatican, dont une bonne partie des archives reste inaccessible sur cette période clé de son histoire. La pièce de Rolf Hochhuth, Le Vicaire, dont le film s’inspire, avait déclenché des réactions très hostiles au début des années soixante. Celles que Amen suscite montrent à l’évidence qu’il reste encore un long chemin à faire pour purger l’abcès.
La mise en présence d’un personnage réel, Kurt Gerstein (1) et d’un autre fictif, Riccardo Fontana, permet à Costa-Gavras de donner à son film une tension riche de pistes de réflexion. Le premier, officier SS chargé de "traiter" les infections, met ses connaissances scientifiques au service de la politique d’extermination tout en la refusant moralement. Le second, jeune jésuite en poste auprès du nonce apostolique en Allemagne, cherche à faire parvenir au pape les informations que le premier détient pour convaincre le pontife de prendre position publiquement contre la tragédie qui touche les Juifs européens.
Leur combat commun pour faire connaître la vérité sur la réalité des camps de la mort ne constitue pas véritablement un élément de suspense car nous savons quelle fut l’issue pour des millions de Juifs. Nous savons aussi que cette réalité était connue du Vatican mais aussi des Alliés et des Américains en particulier. Ce qui importe à Costa-Gavras, c’est de faire sentir combien les silences coupables et les petits et grands arrangements avec l’horreur devenaient de plus en plus insupportables.
Le rythme des trains, les brasiers dans lesquels les nazis éliminaient toute trace de l’holocauste au fur et à mesure que le renversement amorcé à Stalingrad se confirmait, rendent les silences assourdissants et les hypocrisies insoutenables. Même si l’on sait que Costa-Gavras a nourri son film d’une recherche approfondie, il ne cherche pas à empiéter sur le terrain de l’historien. Il se place sur celui du moraliste et du cinéaste engagé qui utilise ses moyens à lui pour interroger un passé dont les ramifications font encore craquer la surface de notre présent.
En ce sens, le mélange de la réalité et de la fiction élargit le propos du film et nous renvoie au problème de la responsabilité personnelle devant les horreurs d’aujourd’hui, sans pour autant affaiblir en quoi que ce soit la portée des accusations adressées au Vatican. Entre le jeune Juif qui, dans la scène d’introduction, se suicide devant les représentants de la Société des Nations à Genève, et Riccardo Fontana qui, à la fin, coud l’étoile jaune sur sa soutane existe une forte parenté, celle de l’indispensable protestation. Une protestation qui court dans toute l’œuvre de Costa-Gavras.
Bernard Nave
Jeune Cinéma n° 274, mars 2002
1. Cf. Pierre Joffroy, L’Espion de dieu. La passion de Kurt Gerstein, Paris, Seghers, 1992.
Amen. Réal : Constantin Costa-Gavras ; sc : C.-G., Jean-Claude Grimberg & Rolf Hochhuth, d’après sa pièce Le Vicaire ; ph : Patrick Blossier ; mont : Yannick Kergoat ; mu : Armand Amar ; cost : Édith Vesperini. Int : Ulrich Tukur, Mathieu Kassowitz, Ulrich Mühe, Michel Duchaussoy, Hanns Zischler, Sebastian Koch (France-Allemagne-Roumanie, 2002, 135 mn).