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Ozu, Yasujirō (1903-1963) I
Premier panorama
publié le dimanche 26 avril 2020

Découvrir Ozu

par Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°123, décembre 1979-janvier 1980


 


Yasujirō Ozu est resté longtemps en France un auteur mythique. Il était un auteur à succès dans son pays, mais les producteurs le croyaient trop japonais pour être exportable. La Cinémathèque organisa une rétrospective, le British Film lnstitute acquit des copies et seuls quelques happy fews connurent certains de ses films. Mais ce cinéaste donna lieu à une littérature d’autant plus abondante qu’il restait inconnu, et quand sortit enfin Voyage à Tokyo (1953), chacun y alla de son étude Ozu.


 

Le Festival de Locarno, en présentant cet été 1979, une rétrospective (1) - incomplète bien sûr, mais représentative de son œuvre - permit de confronter enfin l’œuvre et les gloses. C’est ainsi qu’on put, à Locarno, voir s’affronter entre eux les Ozuisants au cours d’un "colloque" comme on dit. Les uns parlaient Zen, les autres répondaient Tatami. Les Cahiers enfourchaient le dada de la "trivialité", après avoir abandonné la théorie de la "transcendance" empruntée à Henri Agel par USA interposés. Mais la philosophie Zen rend compte aussi bien des sabreurs samouraïs que des mariages arrangés ; la caméra à hauteur de tatami (la natte où s’assoient les Japonais) a fait couler plus d’encre que les fameux plafonds de Orson Welles, mais ne permet pas de trancher entre les "triviaux" et les "transcendants". Et finalement, ce fut l’intervention toute modeste de Hiroko Govaers (2) qui répondit aux questions des spectateurs du colloque : Oui, Yasujirō Ozu fut un auteur à succès populaire, même si les jeunes le trouvent ennuyeux "parce qu’il raconte toujours le même film". Oui, le Japon se transforme, mais "les rites familiaux et l’extraordinaire réserve des rapports affectifs et familiaux est un fait de civilisation actuel". Pour qui a découvert Yasujirō Ozu avec ses deux vieillards si dignes, son émotion retenue, ses conversations, ses plans s’ouvrant sur l’eau tranquille, la vision des films muets constitue une surprise : les personnages de cette époque sont des jeunes parents de condition modeste, dotés d’enfants pas commodes et empêtrés dans des problèmes de survie. La caméra n’a pas encore adopté sa position contemplative et filme souvent en plein air. Mais la surprise majeure en est le ton, résolument burlesque.


 


 

Chœur de Tokyo date de 1931. On y voit un lycéen affronter un prof longiligne qui veut lui faire quitter sa veste. Le prof joue de son petit carnet comme outil de dissuasion, mais se contente de sucer le crayon d’un air terrible ; un autre élève, survenu en retard, devance le prof en lui prenant son crayon et en le lui suçant lui-même. La cascade des gags et le sérieux du héros font penser à Buster Keaton. Même burlesque dans Cœur capricieux (1933), où un porte-monnaie abandonné sème la perturbation dans le public populaire d’un concert. Chacun s’efforce de le ramasser discrètement puis de le rejeter quand il s’est révélé vide. Plus loin, on voit un petit garçon réveiller son père à grands coups de batte de base-ball ; il a pour préparer le genou et le mettre en position, la gentillesse de Stan Laurel qui essuie le veston de Oliver Hardy avant de l’assommer. On est surpris de voir à quel point une œuvre dont on nous dit qu’elle est spécifiquement japonaise, ressemble aux films américains et soviétiques des années trente. Et là aussi ce burlesque japonais coexiste avec l’émotion. Chœur de Tokyo développe une situation de mélodrame : l’enfant malade dont on ne peut payer les frais d’hôpitaux, le frère aîné veille la petite sœur et dispose gentiment sur sa tête un sac de glace, mais au passage, il lèche la glace.


 

Ailleurs, dans Cœur capricieux, la même façon de casser l’émotion par le rire pour mieux la restituer ensuite. C’est le fils qui est cette fois malade et en danger de mort, mais, interrogé sur les motifs de la maladie, le père avoue en riant malgré sa peine, que l’enfant crève d’indigestion pour avoir transformé en festin monstre une pièce trouvée par terre. Les motifs du mélodrame, enfants malades, fille en danger de se prostituer, copain se sacrifiant pour l’ami coexistent avec des francs éclats de rire. Ainsi, D.W. Griffith ou Buster Keaton se mouvaient entre rires et larmes sans se laisser enfermer dans les genres hérités de la littérature.


 

Gag du portefeuille, gag du gosse qui lèche la glace, gags des frères de Je suis né, mais... alias Gosses de Tokyo (1932) qui offrent une pastèque pour voler un vélo, tous ces gags du cinéaste sont des gags liés à la misère des personnages, au combat pour la survie dans un Japon en crise. Dans les films parlants, les personnages sont devenus des personnes aisées et souvent des patrons. Ceux des films muets sont des tout petits employés ou des ouvriers qui font partie du Lumpenprolétariat. Tous vivent dans l’espoir de s’élever dans l’échelle sociale. L’employé de Chœur de Tokyo perd son travail pour défendre un vieux collègue, celui de Je suis né, mais... s’humilie pour faire carrière. Les deux choix différents, mais, à l’horizon, un personnage omniprésent, l’ancien professeur déchu devenu tenancier de restaurant populaire. Une jolie scène de Chœur de Tokyo rassemble autour du vieux prof cuisinier tous ses élèves devenus employés, et ils chantent pour lui. On retrouve le personnage dans Le Goût du saké (1962), et aussi dans un mélodrame de la période intermédiaire, Le Fils unique (1936). Une femme de ménage veut faire de son fils un professeur. Elle est déçue de le retrouver plus tard maître minable dans une école du soir. Il l’emmène voir son ancien prof qui tient le restaurant "Calorie" : "La vie, c’est comme ça à Tokyo", essaye d’expliquer le fils.


 

Comparés aux films postérieurs, dont Fin d’automne (1960) et Le Goût du Saké représentent le modèle, les films de l’époque muette présentent des problèmes d’éthique sociale. La vieille du Fils unique se dépouille de sa rancœur en voyant son fils donner son argent à une famille dans le besoin. Les copains de Cœur capricieux refusent pour payer l’hôpital au gosse l’argent d’une fille qui a bien dû se prostituer, mais sont prêts à émigrer pour aider l’ami. La grande bonté qui rayonne des films à thèmes familiaux s’exprime dans les films précédents en termes de solidarité de classe et souvent l’élévation dans la carrière a pour prix la trahison. De ces choix qui sont le ressort dramatique des films, les enfants sont toujours témoins. Ils vivent eux aussi la déception des parents incapables d’ascension sociale : enfant sans bicyclette, enfant sans balle de base-ball, humilié par le groupe des copains plus riches, l’enfant de Yasujirō Ozu voit son monde d’enfant régi par les rapports d’argent. Les moments où les enfants, souvent très jeunes, en prennent conscience, sont souvent extrêmement brutaux, et la figure des pères se brise à jamais. Les enfants de Je suis né, mais.. travaillent à l’école pour "devenir quelqu’un" comme on dit, "comme votre père" leur répète la mère.


 


 

Sur le terrain des jeux, la morale qui régit les rapports avec des enfants plus gros et plus forts est celle de la jungle, ruse, dérobade et appel à un plus grand quand le danger est là. Le monde de l’école est celui où le bien est récompensé. Ce monde s’écroule un soir de réception où ils prennent leur père en position de lèche-cul : "Papa, tu n’es pas un grand homme, tu es un idiot" et, confrontés à une explication du type : "Il faut bien gagner ma vie pour vous nourrir", ils décrètent une grève de la faim. Le gosse de Cœur capricieux, celui qui réveille son père à coups de bâton, se fait brocarder par les copains : "Ton père ne sait pas lire, ton père ne va pas au travail, ton père va au bistrot". Il se précipite sur le père et le frappe dix, douze, vingt fois, jusqu’à ce que le père remette à pleurer. Les enfants de Yasujirō Ozu découvrent à huit ou dix ans la loi des rapports d’argent, et que ce n’est pas le travail qui donne succès ou considération. Ces scènes sont brutales, qu’elle s’expriment par la dérision - le père de Je suis né mais... est cadré à hauteur de mollet nu -, ou par l’émotion. Le père humilié recourt aux raclées et les enfants se défendent. C’est que ces enfants, parce qu’ils sont encore très jeunes ou d’une classe sociale inférieure, ne disposent pas de tout l’arsenal des conventions avec lequel les personnages des films ultérieurs expriment souffrance et amour. Ces enfants, directs et francs, on les retrouve plus tard à vingt ans, fragiles, soumis aux parents, et timides devant les femmes. Un des motifs récurrents est celui de la déception. L’enfant veut signifier son mécontentement. Il invente un geste incongru. L’un s’endort les pieds appuyés à la cloison en l’air, l’autre mange la cloison de papier, un autre coupe toute les fleurs d’une plante. Tout se passe comme si, devant la faute morale de l’adulte, l’enfant n’était pas en possession des moyens d’expression des grands, mais déjà trop socialisé pour laisser exploser sa réaction. Ce n’est que chez les tout petits que les besoins se manifestent avec naturel. Ceux qui ont vu Voyage Tokyo ne peuvent oublier la cruauté de la scène où la grand-mère fait allusion à sa mort devant un enfant inattentif occupé à cueillir des herbes.


 


 

Si différents que soient thèmes et formes dans les films de cette époque, on y découvre déjà les structures narratives qui sont évidentes dans le films de la maturité. L’une d’elles, liée au thème de la déception, est la structure temporelle. Nous avons déjà signalé le début de Chœur de Tokyo, où le héros lycéen dans la première séquence, apparaît employé dans le seconde. Le Fils unique s’articule autour des départs du garçon : passage à la grande école, lycée en provine, université de Tokyo. La mère vieillit en imaginant la carrière de son fils. Même sujet dans Il était un père (1942), mais traité du point de vue du fils qu’on suit dans son exil d’écolier, puis d’étudiant jusqu’à la mort du père. Ces films révèlent la vanité de l’espoir d’une ascension sociale et fait apparaître, en creux, ce qui va devenir le thème obsédant du cinéaste, le besoin profond de vivre, entre enfant et parent, une vie à deux que le code social ne tolère qu’un temps donné. Si un film comme Cœur capricieux se déroule de manière linéaire dans un bref espace de temps, c’est peut-être parce qu’il a pour personnages des prolos sans avenir et qui vivent leur lutte dans le présent. Plus tard, le cinéaste ne découpe plus son film selon la chronologie, mais fait apparaître le passé sous forme de souvenirs ou de confidences. Cérémones d’anniversaire, réunions d’anciens camarades, rencontre entre un vieil officier et son soldat, ces scènes extrêmement fréquentes n’ont aucune fonction dramatique, mais elles font apparaître, dans le Japon américanisé et bourgeois d’après-guerre, l’ancien Japon et la jeunesse des personnages.


 


 

Souvant un autre procédé narratif donne au film une épaisseur temporelle. C’est la présence d’un personnage secondaire qui a déjà vécu la crise que connaît le personnage central et qui rend concrète une des solutions qu’envisage celui-ci. Dans Fleur d’équinoxe (1958), un père, M. Hirayama, refuse à sa fille le fiancé de son choix et essaye de la séquestrer. Un vieux camarade vient lui raconter l’histoire de sa propre fille, qui, devant le même comportement de son père, a fugué avec son amant et vit librement en gagnant sa vie comme fille de bar. M. Hirayama va voir la fille de son ami et la peur de voir sa propre fille fuir la maison pèse dans sa décision de céder. On reconnaît le motif du Goût du saké où le bonheur tranquille du père - il s’appelle aussi Hirayama - est remis en question le soir où il raccompagne chez lui son vieux professeur ivre et le remet aux mains d’une vieille fille amère qui tient sa maison. L’image donnée de ce qui pourrait être son avenir à lui s’il gardait sa fille Michikho.


 

Dans tous les films qui constituent la saga du mariage, le personnage du veuf ou de la veuve qui pousse ou contraint sa fille au mariage a des amis de jeunesse qui se sont remariés. Eux-mêmes ne se remarient pas. Mais l’éventualité du remariage reste toujours présente, souvent sous forme d’une ruse ourdie par le chœur des amis. Dans Printemps tardif (1949), le père convainc Noriko qu’elle peut le quitter puisqu’une autre va la relayer à la maison, et soutient le mensonge jusqu’au mariage de Noriko. Et la jeune fille de Fin d’automne croit que sa mère a un prétendant. Le veuf du Goût du saké trouve à une toute vive serveuse de bar un air de famille avec sa femme morte. Il emmène son fils la regarder comme on présenterait une future belle-mère et cela reste un rêve fugitif et souriant. Dans une nouvelle fantastique de Jorge Luis Borgès, Le Jardin aux sentiers qui bifurquent, l’auteur imagine une sorte de labyrinthe narratif où tous les événements, au lieu d’éliminer les possibles, présentent à chaque tournant du récit toutes les solutions données. Si bien qu’un personnage, tué dans un épisode, est vivant dans un autre et ainsi de suite. C’est un peu l’impression que donnent les films de cette période. L’histoire - toujours la même - aussi banale que la fleuraison du printemps suivie par la poussée des fruits - présente toutes les éventualités. Le mariage de l’enfant est libre ou "arrangé", le père se remarie ou reste seul, ou encore un père reste avec sa fille qui vieillit près de lui.


 

De plus, les acteurs sont toujours les mêmes, dans des personnages de vieillards, de jeunes femmes ou de jeunes filles, mais dans des fonctions différentes, si bien que dans le souvenir, quand on se rappelle le beau visage pensif de Setsuko Hara, on hésite à la replacer dans le personnage de la mère de Fin d’automne, la fille de Printemps tardif, ou la belle-fille veuve de Voyage à Tokyo, ce personnage qui pourrait venir tenir la maison du vieux veuf mais qui décide finalement de se remarier. L’identité des décors d’un film à l’autre - maison, rue, bar - qui encadrent les personnages d’un même réseau de lignes géométriques, la constance des gestes, ces personnages qui entrent, passent sur le côté, déposent leurs chaussures et s’installent en position assise, deux par deux, sans jamais se faire face, tout cela contribue à donner l’impression qu’on voit un même film se dérouler. Dès le second film, le spectateur a l’impression d’entrer dans un univers déjà familier dans une famille connue et qu’on a déjà vu ce père qui va rentrer dans la maison vide, incliner lentement sa tête dans le salon, ou lentement plier le lit où la fille ne couchera plus. Voici le mariage traditionnel où la fille est parée comme pour un sacrifice, tel que l’a popularisé l’affiche du Goût du saké. La séquence s’achève sur l’adieu-remerciement de la fille qui s’incline devant le père et s’en va vers la cérémonie. Ailleurs, on assiste au mariage mais le fiancé reste invisible. Dans Fleur d’équinoxe, le film s’ouvre sur le repas d’après le mariage d’un ami.


 

Nous, spectateurs, nous nous trouvons dans cet état dont on parle dans les traités savants sur le théâtre oriental : on sait ce qui se passe, on connaît l’acteur, on attend la scène où Chishu Ryu va revenir dans la maison vide, et, chaque fois, la surprise vient d’un imperceptible changement de jeu de l’acteur qui se surpasse de film en film. Mais il ne faudrait pas croire qu’on est devant un film de Yasujirō Ozu comme le public de l’Opéra, en train d’applaudir le ténor. Le miracle, c’est que l’ordonnance du film, reconnue de film en film, laisse le spectateur disponible pour remarquer le détail ténu qui change. Une cloison qui a glissé et transformé l’espace, la touche rouge de la théière qui a changé d’angle, l’hésitation de la démarche du père qui s’est enivré avant de rentrer, tout cela est chargé d’une force affective intense. On retrouve dans le style du cinéaste ce qui caractérise justement ses personnages, la possibilité d’exprimer avec des signes imperceptibles une émotion très forte. M. Hirayama, le père du Voyage à Tokyo, est assis dans sa chambre, la voisine passe la tête et déplore la mort de la femme. "La journée est longue quand on est seul", répond le vieux, et il ajoute : "La défunte était une balourde", le ton est souriant, le visage serein, on ne fait pas peser le chagrin sur le voisin, et il est de bon ton de déprécier une morte quand on parle à une femme. Mais la simple disposition du personnage dans l’attitude même qu’il avait au début du film lorsqu’il prépare sa valise pour le départ à Tokyo, fait sentir en creux la présence disparue.


 


 

Sérénité du personnage et sérénité du cinéaste qui filme, en un dernier plan, le fleuve tranquille. Les dénouements de Yasujirō Ozu ont le caractère inéluctable de l’alternance des saisons, de l’écoulement des fleuves. En automne, l’arbre laisse tomber son fruit, le père marie sa fille. Parfois, le printemps est tardif et l’automne précoce. Mais le malheur est intense, la sérénité n’est ni résignation ni indifférence. Dans Printemps tardif, la fille fait une dernière excursion en tête à tête avec son père, elle est plus âgée que les autres personnages de filles, elle tente une dernière prière : "Je vous en supplie, père, je suis heureuse ainsi", la scène semble une scène de rupture dans une histoire d’amour. Il semble d’ailleurs que pour que la fille puisse exprimer une telle prière, il faille un temps exceptionnel qui est celui de l’excursion, dans un espace plus libre que celui de la ville industrielle, la verdure harmonieuse de Kyoto. Ainsi, dans Il était un père, le père, qui a banni son fils pour qu’il puisse étudier puis enseigner, se retrouve avec lui en train de pêcher, comme dans le passé, et les deux lignes de se mouvoir selon le même mouvement, puis les gestes se décalent légèrement, signifiant la séparation proche. Aucun cinéaste n’a jamais traité avec une telle intensité l’amour qui lie le père et la fille, la mère à son fils ou à sa fille et exprimé leur bonheur comme celui d’un couple. Peut-être le plus discret des cinéastes est-il - dans les films de la maturité - le cinéaste d’un seul thème, l’amour entre enfants et parents qui devient interdit quand s’approche l’âge du mariage. Un mariage qui prend pour le parent restant la tristesse du veuvage.

Les sujets Yasujirō Ozu ont évolué avec l’âge du cinéaste. La critique s’est souvent limitée aux films réalisés pendant la maturité. Un des derniers : L’Automne de la famille Kohayagawa, alias Dernier Caprice (1961), reprend tous les thèmes des films précédents ; thème familial : une jeune veuve refuse de se remarier et la jeune sœur hésite entre le fiancé aimé et le fiancé officiel du mariage arrangé ; thème social : de petits artisans sont contraints de vendre leur entreprise à une grosse chaîne d’un trust. Une jolie scène comique - partie de cache-cache entre un vieux grand-père et un petit garçon - montre comment le vieux profite du jeu pour fausser compagnie à sa famille et aller retrouver une vieille maîtresse en ville. Dans une scène précédente on voyait une vraie scène-poursuite entre le vieux qui sème dans un labyrinthe des rues l’employé balourd chargé de le surveiller. Le vieux témoigne, vis-à-vis des conventions, d’une liberté aussi déterminée que sa vitalité : ne se lève-t-il pas devant l’infirmière qui le veille et déclare à la famille réunie pour l’assister dans sa mort : "Je vais pisser", et c’est chez sa maîtresse qu’il se décide à mourir. On est revenu au ton familier, aux ruptures entre le comique et le grave qui caractérisaient les films muets comme si le vieil âge - comme l’enfance - échappait au réseau des codes où se meuvent les adultes mûris et retrouvaient avec la liberté une certaine brutalité totalement absente des relations entre ceux-ci.


 

Yasujirō Ozu est mort à soixante ans, non marié, ayant vécu auprès de sa mère le bonheur qu’il interdit à ses personnages. Qui sait ce que les films de l’extrême vieillesse auraient apporté ? À quelles réévaluations, ils auraient contraint la critique un peu pressée d’enfermer dans un système une œuvre vivante. Puisse le succès des rares œuvres montrées jusqu’à présent donner envie au public et aux distributeurs de faire connaître les films de jeunesse.

Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°123, décembre 1979-janvier 1980

1. Le Festival de Locarno 1979 a présenté 12 films de Yasujirō Ozu.

2. Hiroko Govaers (1938-2008). Elle était correspondante pour l’Europe de la Cinémathèque de Tokyo, elle fut une amie de Henri Langlois (1914-1977). Grâce à sa générosité et à celle de sa fille, Yuriko, la Cinémathèque possède une superbe collection d’affiches japonaises.
Cf. aussi Govaers Hiroko éd, Le Cinéma japonais de ses origines à nos jours, catalogue de la rétrospective japonaise à la Cinémathèque française, tome 1 : Paris, Cinémathèque française et Fondation du Japon, 1984 ; tome 2 : Paris, Fondation du Japon et Kawakita Memorial Film Institute, 1985.


* Le Chœur de Tokyo (Tōkyō no kōrasu). Réal : Yasujirō Ozu ; sc : Kōgo Noda ; ph, mont : Hideo Shigehara ; cost : Kurenai Saito. Int : Tokihiko Okada, Emiko Yagumo, Hideo Sugawara, Hideko Takamine, Tatsuo Saitō, Chōko Iida, Takeshi Sakamoto, Reikō Tani (Japon, 1931, 90 mn).

* Gosses de Tokyo (Otona no miru ehon : Umarete wa mita keredo). Réal : Yasujirō Ozu ; sc : Akira Fushimi ; ph, mont : Hideo Shigehara. Int : Tatsuo Saitō, Mitsuko Yoshikawa, Tomio Aoki, Hideo Sugawara, Takeshi Sakamoto, Teruyo Hayami (Japon, 1932, 91 mn).

* Cœur capricieux (Dekigokoro). Réal : Yasujirō Ozu ; sc : Tadao Ikeda ; ph : Hideo Shigehara & Shōjirō Sugimoto ; mont : Kazuo Ishikawa ; déc : Yonekazu Wakita. Int : Takeshi Sakamoto, Tomio Aoki, Den Obinata, Nobuko Fushimi, Chōko Iida, Reikō Tani, Seiji Nishimura, Seiichi Katō, Ryūji Ishiyama, Chishū Ryū (Japon, 1933, 100 mn).

* Le Fils unique (Hitori musuko). Réal : Yasujirō Ozu ; sc : Y.O., Tadao Ikeda & Masao Arata ; ph : Shōjirō Sugimoto ; mont : Eiichi Hasegawa & Hideo Mohara ; mu : Senji Itō ; déc : Tatsuo Hamada. Int : Chōko Iida, Shin’ichi Himori, Masao Hayama, Yoshiko Tsubouchi, Mitsuko Yoshikawa, Chishū Ryū, Tomoko Naniwa, Bakudankozo, Kiyoshi Seino, Eiko Takamatsu, Seiichi Katō, Kazuo Kojima, Tomio Aoki (Japon, 1936, 87 mn).

* Il était un père (Chichi ariki). Réal : Yasujirō Ozu ; sc : Y.O, Tadao Ikeda & Takao Yanai ; ph : Yūharu Atsuta ; mont : Yoshiyasu Hamamura ; mu : Kyoichi Saiki ; déc : Tatsuo Hamada. Int : Chishū Ryū, Shūji Sano, Shin Saburi, Takeshi Sakamoto, Mitsuko Mito, Shin’ichi Himori, Kōji Mitsui, Kenji Ōyama (Japon, 1942, 86 mn).

* Printemps tardif (Banshun). Réal : Yasujirō Ozu ; sc : Y.O. & Kōgo Noda d’après le roman de Kazuo Hirotsu ; ph : Yūharu Atsuta ; mont : Yoshiyasu Hamamura ; mu : Senji Itō ; déc : Tatsuo Hamada. Int : Chishū Ryū, Setsuko Hara, Yumeji Tsukioka, Haruko Sugimura, Hohi Aoki, Jun Usami, Kuniko Miyake, Masao Mishima, Yoshiko Tsubouchi, Yōko Katsuragi (Japon, 1949, 108 mn).

* Voyage à Tokyo (Tōkyō monogatari). Réal : Yasujirō Ozu ; sc : Y.O. & Kōgo Noda ; ph : Yūharu Atsuta ; mont : Yoshiyasu Hamamura ; mu : Kojun Saitō ; déc : Tatsuo Hamada & Itsuo Takahashi ; cost : Taizo Saito. Int : Chishū Ryū, Chieko Higashiyama, Setsuko Hara, Haruko Sugimura, Sō Yamamura, Kuniko Miyake, Kyōko Kagawa, Eijirō Tōno, Nobuo Nakamura, Shirō Ōsaka (Japon, 1953, 136 mn).

* Fleurs d’équinoxe (Higanbana). Réal : Yasujirō Ozu ; sc : Y.O. & Kōgo Noda d’après le roman de Ton Satomi ; ph : Yuharu Atsuta ; mont : Yoshiyasu Hamamura ; mu : Takanobu Saitō. Int : Shin Saburi, Kinuyo Tanaka, Ineko Arima, Yoshiko Kuga, Fujiko Yamamoto, Keiji Sada, Teiji Takahashi, Miyuki Kuwano, Chishū Ryū, Chieko Naniwa, Ryūji Kita, Nobuo Nakamura, Mutsuko Sakura, Fumio Watanabe (Japon, 1958, 118 mn).

* Fin d’automne (Akibiyori). Réal : Yasujirō Ozu ; sc : Y.O. & Kōgo Noda d’après le roman de Ton Satomi ; ph : Yuharu Atsuta ; mont : Yoshiyasu Hamamura ; mu : Takanobu Saitō. Int : Setsuko Hara, Yōko Tsukasa, Mariko Okada, Keiji Sada, Miyuki Kuwano, Shin’ichirō Mikami, Shin Saburi, Chishū Ryū, Nobuo Nakamura, Kuniko Miyake, Sadako Sawamura, Ryūji Kita, Fumio Watanabe (Japon, 1960, 128 mn).

* Dernier Caprice (Kohayagawa-ke no aki). Réal : Yasujirō Ozu ; sc : Y.O. & Kōgo Noda ; ph : Asakazu Nakai ; mont : Kōichi Iwashita ; mu : Toshirō Mayuzumi ; déc : Tomoo Shimogawara. Int : Ganjirō Nakamura, Setsuko Hara, Yōko Tsukasa, Michiyo Aratama, Keiju Kobayashi, Chishū Ryū, Yūko Mochizuki, Chieko Naniwa, Reiko Dan, Yumi Shirakawa, Akira Takarada, Yū Fujiki, Haruko Sugimura, Hisaya Morishige, Daisuke Katō (Japon, 1961, 103 mn).

* Le Goût du saké (Sanma no aji). Réal : Yasujirō Ozu ; sc : Y.O. & Kōgo Noda ; ph : Yūharu Atsuta ; mont : Yoshiyasu Hamamura ; mu : Kojun Saitō ; déc : Tatsuo Hamada & Shigeo Ogiwara ; cost : Yuuji Nagashima. Int : Chishū Ryū, Shima Iwashita, Keiji Sada, Shinichirō Mikami, Mariko Okada, Teruo Yoshida, Noriko Maki, Nobuo Nakamura, Eijirō Tōno, Kuniko Miyake, Kyōko Kishida, Haruko Sugimura, Daisuke Katō (Japon, 1962, 112 mn).



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