par Claudine Castel
Jeune Cinéma en ligne directe
Sélection officielle du Festival international du documentaire d’Amsterdam 2022
Prix du meilleur long métrage
Sortie le mercredi 27 mars 2024
Lea Glob, réalisatrice danoise (1), trace un double portrait d’artistes en jeunes femmes. Son film de fin d’études était sur le thème du portrait. La rencontre d’Apolonia, une peintre franco-danoise, en 2009, prélude d’emblée à une indéfectible amitié au fil du temps. Lea qui dit avoir toujours vu le monde à travers une caméra, est captivée par la jeune femme, son appétit à vivre, par le lieu où elle a été élevée, où elle vit : le Lavoir Moderne Parisien. Théâtre d’avant-garde fondé par ses parents, c’est un refuge d’artistes et de dissidents. Dans le regard assuré d’Apolonia on lit néanmoins le doute, l’inquiétude : le Lavoir est en liquidation judiciaire, mais elle l’invite à tout filmer. Lea lui emboîte le pas, de de la Goutte d’Or à l’école des Beaux-Arts.
Apolonia revendique la peinture figurative, et peint des portraits grandeur nature de ses amis, et de femmes filiformes souvent nues. Une gageure dans le monde de l’art, où elle ne cesse d’affirmer qu’elle ne veut pas différencier son identité et son travail. Quand elle obtient son diplôme, elle s’entend dire que sa personnalité est plus intéressante que sa peinture, et Lea de s’interroger si ce jugement aurait été asséné à un homme.
Dans la vie d’Apolonia est apparue sa compagne Oksana Shachko, peintre d’icônes qui fut la cofondatrice du groupe ukrainien Femen. Elle a payé cher son engagement : poignets cassés par la police russe, l’exil. Cet exil fait écho à la vie d’Alexandra, la mère d’Apolonia ; elle incarne un "héritage d’expulsions" de la Pologne à Paris, via le Danemark.
La réalisatrice a décidé de déborder le cadre strict d’un exercice d’école en poursuivant le tournage et en incluant sa propre histoire (une entorse à la tradition et à la morale danoises) sa voix off documente les images de leur trajectoire croisée, depuis leurs origines familiales. Une alliance tacite s’est nouée entre elles. Elles se regardent en miroir, l’une en peignant, l’autre en filmant, et évoluent dans un même élan.
Lea prend conscience que la magie du documentaire c’est filmer la vie, « enregistrer le temps qui passe ». Le parcours tumultueux de son amie l’emmène à Los Angeles, Apolonia y fait l’expérience du marché de l’art crapuleux, la caméra devient un rempart protecteur dans ces circonstances difficiles.
La vie à l’épreuve de la maladie. Apolonia avait huit ans quand ses parents se séparent et qu’elle est hospitalisée pour une tumeur à la vessie. Oksana souffre de nostalgie, l’impossible retour, et met fin par le suicide à sa dépression, à la précarité de son existence. Lea a failli mourir en mettant au mode son enfant. Apolonia est une résistante, son énergie, sa vitalité dament le pion à la tragédie et se communiquent à Lea et à son film. Le temps est venu d’éteindre la caméra, Apolonia et Lea sont désormais reconnues.
Le film de Lea Glob exprime la force du féminisme ; il exclut le ressentiment et affirme la puissance créatrice animée par la quête d’émancipation et de liberté.
Claudine Castel
Jeune Cinéma en ligne directe
1. Olmo et la mouette avec Petra Costa (2014), Vénus : confessions à nu avec Mette Carla Albrechtsen (2016)
Apolonia Apolonia. Réal, ph : Lea Glob ; sc : L.G., & Andreas Bøggild Monies ; mont : Andreas Bøggil Monies & Thor Ochsner ; mu : Jonas Struck. Avec Apolonia Sokol, Lea Glob, Oksana Shachko, Jean-Michel Alberola, Mike White, Andreas Bøggild Monies, Stefan Simchowitz (Danemark-Pologne, 2022, 116 mn). Documentaire.