par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n°427-428, mars 2024
Sélection officielle Un certain regard du Festival de Cannes 2023
Sortie le mercredi 27 mars 2024
Le film a été présenté l’an dernier à Cannes, section Un Certain Regard, et sélectionné dans de très nombreux festivals (1). C’est le premier long métrage sorti en France de Rodrigo Moreno. Celui-ci enseigne la réalisation à l’Université du cinéma de Buenos Aires et fait partie du comité éditorial de la publication annuelle Revista de Cine, où il écrit également des articles et des essais sur le cinéma. Il s’est aussi aventuré dans les arts visuels avec la photographie, la vidéo expérimentale et les arts de la scène, dont sa performance "Professional Radio Announcers Read Karl Marx’s Capital", cocréée avec Bruno Dubner et labellisée Arte (2).
Après cinq films - Una ciudad de provincia (2017), Reimon (2014), Un mundo misterioso (2011), El custodio (2006) et El descanso (2001) - voici Los delincuentes, dont le titre est, bien sûr, une antiphrase. Ne nous y trompons pas, il ne s’agit nullement d’un film moralisateur ou bien-pensant. Ces fameux "délinquants" sont deux banquiers entraînés l’un par l’autre vers un monde libertaire où chacun, différemment, choisira une vie en dehors des chemins obligés. On dirait parfois l’illustration d’une chanson de Georges Brassens.
Rodrigo Moreno tente de répondre dans son film aux questions qu’il s’est lui-même posées : comment gagner sa vie ? Comment vivre sans toutes les choses que l’on possède ? Pourquoi ne pas choisir une vie meilleure en quittant la ville, son travail, voire sa famille, pour s’installer à la campagne, au bord de l’océan ou à la montagne, et enfin s’abandonner au loisir et ne plus dépendre que de soi ? C’est ce qu’initie réellement le personnage principal du film, Morán (Daniel Elias), qui calcule qu’il n’a qu’à dérober l’équivalent de vingt-cinq ans de son salaire à la banque (au moindre peso près) et faire ensuite trois ans et demi de prison, pour être ensuite libre toute sa vie, au lieu de se crever à travailler.
Bien sûr, on pense ici à une maxime attribuée à Bertolt Brecht selon laquelle c’est un crime moins grave de faire un hold-up que de fonder une banque. Son forfait accompli, Morán se mettra en relation avec son collègue de travail, au prénom de parfaite anagramme, Román interprété par un génial Esteban Bigliardi, pour espérer pouvoir enfin échapper à une société particulièrement liberticide et oppressante.
Le tout est filmé comme un road-movie des années 70, avec des images un peu passées et très belles de Alejo Maglio & Ines Duacastella, et projeté en deux parties, comme jadis, au temps de l’entracte avec ses esquimaux.
Ces deux parties coïncident plus ou moins avec la vie et les aventures de chacun des bons larrons, l’un corrompant l’autre et l’entraînant dans le doute et une sorte d’hédonisme érotique échevelé, qui les conduiront à partager, sans le savoir, la même belle jeune femme, dédoublée et portant deux prénoms également anagrammatiques, Morna et Norma. Un peu lent, mais souvent passionnant et drôle, le film ne manque pas de ressort scénaristique et pourrait, pourquoi pas, devenir une série à succès.
Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n°427-428, mars 2024
1. Chicago 2023 ; Gand 2023 ; La Havane 2023 ; Philadelphie 2023 ; San Sebastian 2023 ; Lisbonne-Estoril 2023 : New Horizons Pologne 2023 ; Lima 2023.
2. Le site personel de Rodrigo Moreno.
Los delincuentes. Réal, sc, mont : Rodrigo Moreno ; ph : Inès Duascatelle, Alejo Maglio ; mont : Nicolas Goldbart, Manuel Ferrari. Int : Daniel Elias, Esteban Bigliardi, Margarita Molfino, Laura Paredes (Argentine, 2023, 180 mn).