L’histoire se passe en 2012, à Bruxelles (1). Elle relate une de ces affaires ambigües un peu poisseuses, dont la vigilance rigoureuse d’élus déterminés peut contenir la propagation.
José Bové est député européen écologiste depuis 2009, et une directive européenne est sur le point d’aboutir, visant à limiter les ravages du tabac : 8 millions de morts chaque année dans le monde, 700 000 en Europe, 90 % risques de développement d’un cancer à 40 ans pour les fumeurs intoxiqués avant 15 ans...

C’est alors que le commissaire à la Santé, correspondant de l’OMS, John Dalli est brusquement poussé à la démission par José Manuel Barroso, président de la Commission européenne. Un rapport de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) l’accuse de trafic d’influence. Il n’aurait pas signalé un rendez-vous avec des représentants du fabricant de tabac suédois Swedish Match qui commercialise le "snus", du tabac à chiquer moins toxique que les produits des cigarettiers mais rapidement addictif. Il aurait été question d’un allègement du projet de la directive antitabac moyennant un petit pot de vin de 60 millions d’euros.

John Dalli, un élu maltais de droite, conteste cette accusation (2). José Bové soupçonne une manœuvre, et, bien qu’il ne soit pas du même bord que lui, il enquête. Il attrape le bout de fil et déroule la bobine, avec Fabrice (Thomas VDB), l’assistant parlementaire et Clémence (Céleste Brunnquell), la jeune stagiaire juriste. Au-delà des procédures, il vise la justice et voit dans l’enquête un levier de moralisation du fonctionnement des institutions. José Manuel Barroso aussi avait contrevenu à la consigne de déclarer certains rendez-vous…

Le film est inspiré de faits réels, avec des dialogues reconstitués qui n’ont été contestés par aucun des protagonistes : le président Barroso peu scrupuleux et trop sûr de lui, John Dalli le démissionné défaitiste, notamment. Les cigarettiers et leurs alliés, dont deux jeunes lobbyistes, reconnaitront avoir cautionné une version falsifiée des faits, et le directeur général de l’OLAF, Giovanni Kessler, se verra lui-même condamné.

Quant à José Bové, il est très heureux de l’interprétation de Bouli Lanners, avec qui il s’est découvert "beaucoup d’affinités", et il apprécie le film "qui lui rappelle les œuvres de Costa-Gavras". Surtout il se réjouit de cette sortie à quelques semaines des élections européennes, en espérant que ce récit des coulisses va inviter les gens à aller voter : "Tous les politiciens ne sont pas pourris".

De très belles photos flashs du Parlement de Bruxelles, de trains, de routes, d’un monde urbanisé compensent les images plus confinées des décors de l’intrigue, bureaux encombrés, cantines, couloirs. Mais, au-delà du scénario, c’est le style du film lui-même qui donne son sens à l’action : les séquences musicales de Grégoire Auger, l’ambiance, les multiples indices révélateurs des intuitions, les ambitions des personnages. C’est un vrai thriller politique, le rythme est trépidant et soutenu, et il faut suivre. Mais on reconnait la qualité rigoureuse de Une intime conviction (2).

Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Le scénario est tiré du récit de Gilles Luneau & José Bové, Hold up à Bruxelles. Les lobbies au cœur de l’Europe, Paris, La Découverte, 2015.

2. Les charges contre John Dalli seront abandonnées par le parquet général de Malte en 2013, faute de preuves. La directive sur les produits du tabac, comprenant la mise en place du paquet de cigarettes neutre, sera adoptée par le Parlement européen en 2014.

3. Une intime conviction est le premier long métrage de Antoine Raimbault (2018).

Une affaire de principe. Réal : Antoine Raimbault ; sc : A.R. & Marc Syrigas ; ph : Steeven Petitteville ; mont : Jean-Baptiste Beaudoin ; mu : Grégoire Auger ; déc : Nicolas de Boiscuillé ; cost : Élise Ancion. Int : Bouli Lanners, Thomas VDB, Céleste Brunnquell, Lisa Loven Kongsli, Wim Willaert, Joaquim de Almeida, Vincenzo Amato, Bernard Blancan, Nicolas Vaude, Béatrice de Staël, Maria de Medeiros, Éric Soriano (France-Belgique, 2024, 95 mn).