par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n°429, mai 2024
Sélection du Festival international du film de Toronto 2023
Sortie le mercredi 1er mai 2024
Avec son impressionnante carrière d’acteur, on aurait presque tendance à penser que ce long métrage est le premier de Viggo Mortensen, en tant que scénariste et réalisateur. Il n’en est rien puisqu’il a déjà réalisé, en 2020, un premier film remarqué, Falling. Au moment de sa réalisation, le réalisateur s’est souvenu des sentiments profonds que lui avait inspirés la disparition de sa mère.
De son propre aveu, il pense à nouveau à elle dans l’élaboration de ce western. "L’idée de ce film est née d’une image de ma mère, dit-il. J’ai conservé des livres illustrés des années 30 qu’elle lisait quand elle était petite - des récits d’aventures et des histoires de chevaliers qui se passaient au Moyen Âge. Elle a grandi à proximité de forêts d’érables, près de la frontière canadienne, j’avais l’image d’elle, enfant, en train de courir dans la forêt – et je m’étais imaginé qu’elle était l’un des personnages de ces vieux livres qu’elle lisait. C’est l’image de départ que j’avais en tête quand je me suis mis à écrire le scénario".
Au titre français un peu fleur bleue, tiré d’un extrait des dialogues de ce néowestern, on préférera le titre anglais, The Dead Don’t Hurt, nettement plus viril et radical. Mais c’est un beau film même si les néoféministes et les pères-la-vertu tenteront de le tirer vers une symbolique de défense des femmes. Même si certains aspects du scénario pourraient les y encourager, ce serait vraiment affadir ce film tendre et violent que de l’interpréter d’une manière parfaitement univoque, alors qu’il va tellement plus loin. Dire que le personnage de Vivienne Le Coudy, magnifiquement incarné par une inattendue Vicky Krieps, est une féministe serait assez réducteur, puisque le film est une belle histoire d’amour entre un homme et une femme dans un pays ravagé par la guerre de Sécession.
Certes, cette Québécoise exilée au fin fond de l’Amérique, qui vend des fleurs au marché de San Francisco, pourrait facilement passer pour une femme libérée avant l’heure. Mais lorsqu’elle rencontre Holger Olsen, comme elle expatrié, sorte de cow-boy scandinave sans vache, elle ne va pas tenter de le changer, comme l’aurait fait n’importe quel insipide scénario français.
Elle accepte cette sorte de patriarcat en fait, même si son Olsen, qu’elle suit au bout du monde, est bien le seul homme doux et sensible d’Elk Flats, peuplé, comme dans tous les westerns, de crapules, de salauds et de manipulateurs. Mais c’est elle qui, par sa douceur, sa féminité et sa pugnacité, va parvenir à se faire aimer de lui, avec les gestes simples de la féminité. C’est elle qui nettoie la bicoque les premiers jours où ils s’y installent, c’est elle qui lui demande de planter des fleurs et des arbres et c’est elle encore qui sauvera leur couple lorsqu’Olsen reviendra de la guerre et que l’horrible Jeffries Jr. l’aura violée et battue.
Nous sommes devant un très beau western, produit par Regina Solórzano - productrice également de Sans filtre de Ruben Östlund (2022) et de Bergman Island de Mia Hansen-Løve (2021) qui tente (et réussit souvent) de renouveler le genre, avec le style visuel du chef-opérateur Marcel Zyskind, les chefs-décorateurs Jason Clarke et Carol Spier, et la chef-costumière Anne Dixon - qui avaient tous collaboré à Falling.
Viggo Mortensen évoque ici l’esthétique de nombreux westerns qui l’ont marqué, s’attardant parfois sur certains détails infimes afin de retrouver l’atmosphère du Nevada des années 1860, bien que ce film soit pourtant tourné à Durango, au Mexique, comme de nombreux westerns des années 1960 et 1970.
Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n°429, mai 2024
Jusqu’au bout du monde (The Dead Don’t Hurt). Réal, sc, mu : Viggo Mortensen ; ph : Marcel Zyskind ; mont : Peder Pedersen ; déc : Jason Clarke & Carol Spier ; cost : Anne Dixon. Int : Vicky Krieps, Viggo Mortensen, Solly McLeod, Garret Dillahunt, Danny Huston, John Getz, Ray McKinnon, W. Earl Brown (USA, 2023, 129 mn).