par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°429, mai 2024
Sélection hors compétition Reims Polar 2024
Sortie le mercredi 8 mai 2024
Plans magnifiques des Ardennes, paysages à l’infini de montagnes et forêts, obscurs, couverts d’une légère brume, étouffantes présences de mines d’ardoises, de fonderies et d’aciéries. Rochebrune, une petite ville ouvrière, trois amis d’enfance Johnny (Pierre Lottin), Charlène (Marion Barbeau) et Paul (Bastien Bouillon). Johnny, leader du mouvement de protestation de la ville, disparaît, blessé après avoir braqué un fourgon et emporté le butin. Un homme, filmé de dos, arpente le paysage, traverse la forêt, c’est Paul, qui revient au village après quinze ans d’absence pour revoir Johnny. Le temps est court, la police est à la recherche du fugitif, Anna Werner (Léa Drucker) mène l’enquête.
Le premier long métrage de Baptiste Debraux est un polar à la fois romanesque et idéologique. L’usine est en grève, l’ensemble du personnel compte sur Johnny pour sauver la situation, ce qu’il fera de façon grandiose. À travers de nombreux retours en arrière, les personnages se retrouvent, plus ou moins liés depuis l’adolescence, les parents, les enfants, petits et grandis ; ainsi, se produit incessamment un mélange des temps, un éclatement du présent face au passé, comme un entremêlement des histoires de chacun, et notamment des histoires d’amour de Charlène, au si joli regard pointu, avec Paul puis avec Johnny. L’Île au trésor de Robert Louis Stevenson joue un grand rôle dans l’aventure des personnages et leurs destinées. On y retrouve encore l’enfance et l’enchantement qui les habitent, vivant les événements avec ferveur, malgré la mort qui se promène.
Baptiste Debraux mélange les genres, le drame, le polar, l’action, l’aventure, il travaille l’esthétisme, la plastique, la lenteur, l’ombre et la lumière, l’individu et la foule. Il se plaît à filmer avec nécessité, conviction et passion, il monte ses images de façon chaotique pour accroître le rythme de la narration. Il croit à son histoire même si elle est utopique, elle est la sienne, pleinement. Ses personnages et ses acteurs sont choisis avec justesse. Bastien Bouillon porte dans le regard une inquiétude, vive et changeante, elle sied parfaitement à son rôle d’ami lointain revenu auprès des siens ; avec un naturel désarmant, Pierre Lottin joue de son charme, et la fine silhouette de Marion Barbeau est attachante. La perfection du jeu multiple de Léa Drucker n’est plus à démontrer, elle se laisse aller à l’émotion en maîtrisant à fond sa sensibilité. La musique du groupe rock Feu ! Chatterton est parfois un peu lourde, mais elle exprime bien la nostalgie et la langueur des personnages face à leur destin.
C’est un film à la lisière d’une utopie révolutionnaire et d’un romantisme sauvage sans la violence, en mémoire de quelques braqueurs héroïques et de films non moins héroïques, agissant pour le bien des plus démunis.
Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°429, mai 2024
Un homme en fuite. Réal : Baptiste Debraux ; sc : B.D. & Armel Gourvennec ; ph : Fabien Benzaquen ; mont : Marion Monnier ; mu : Feu ! Chatterton. Int : Bastien Bouillon, Léa Drucker, Marion Barbeau, Pierre Lottin, Anne Consigny (France, 2024, 106 mn).