Faux mouvement, réalisé en 1974, s’intercale entre Alice dans les villes (1974) et Au fil du temps (1976). L’élaboration du scénario est établie à partir d’un roman de Goethe, Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister (1796), adapté pour le film par Peter Handke, lequel avait déjà collaboré avec Wim Wenders pour L’Angoisse du gardien de but au moment du penalty (1972).

Le film conte l’histoire du jeune écrivain Wilhelm Meister qui quitte l’étouffoir maternel de sa maison et de sa ville pour se confronter au monde et y puiser une expérience humaine et littéraire. Au cours de son périple, Wilhelm sera le centre cristallisateur d’un groupe de personnages rencontrés en chemin : un ancien nazi devenu clochard, accompagné d’une jeune et énigmatique acrobate nommée Mignon, une actrice incarnant l’archétype de la passante, un jeune poète, un industriel suicidaire. Une étrange alchimie mêlant le réel à l’imaginaire, il nous est difficile de trancher sur la part concrète ou abstraite de ces êtres.

En effet, Wilhelm semble agir à la manière d’un créateur qui, partant de bribes données par le réel, les assemble dans son esprit en un brouillon imaginaire. La perception immédiate des choses est enregistrée puis recréée par l’écrivain, et nous est donc restituée d’une manière subjective et déformée. Ce qui donne parfois une impression de fantastique, comme la rencontre de Wilhelm et du clochard à partir d’une tache de sang souillant la banquette d’un compartiment de train, ou bien de surréel comme la longue séquence, d’inspiration bunuelienne, où l’écrivain et ses personnages déambulent sur une route en lacets parmi les champs de vignes.

Il est bien entendu possible d’occulter le côté littéraire de l’œuvre sans que sa lecture en soit amoindrie tant Wim Wenders possède le don d’entrelacer les pistes sans pour cela leur faire perdre de leur force significative. On peut donc aussi voir en Faux mouvement un film traitant de la difficulté de vivre en groupe comme l’illustre l’histoire racontée par Wilhelm : "Un homme décide d’avouer son amour à la femme qu’il aime, mais celle-ci, au moment de la déclaration, aura le geste machinal d’utiliser un cure-dents, faussant ainsi la magie de l’aveu. Vexé, ou gêné par ce mouvement déplacé, l’homme la quittera".

L’idée de cette fable est développée dans les événements du film. Un groupe d’individus vit en une harmonie fragile et instable due à la fascination qu’ils exercent l’un sur l’autre, puis un faux mouvement, en l’occurrence la pendaison de l’industriel, brisera le précaire édifice communautaire qui s’éclatera en de multiples individualités, chacun revendiquant un absolu personnel au détriment de l’autre.

On retrouve aussi, dans Faux mouvement, ce souffle poétique et visionnaire qui animait déjà les précédentes réalisations de Wim Wenders, la faculté de donner aux paysages des villes et des campagnes une dimension angoissante, le parti pris de dénoncer les médias facteurs d’incommunicabilité à l’image de la scène où, autour d’un immense feu de cheminée, des êtres ébauchent la tentative d’une communion tandis qu’un poste de T.V. enveloppé de cellophane balbutie des signaux visuels incohérents. Loin des fracas publicitaires, Wim Wenders s’impose de plus en plus comme un cinéaste de grande envergure, insufflant au cinéma une manière différente de filmer les choses et les gens, apportant, dans un style pur et superbe, la marque d’un auteur.

Alain Caron
Jeune Cinéma n°109, mars 1978

Faux Mouvement (Falsche Bewegung). Réal : Wim Wenders ; sc et dial : Peter Handke ; ph : Robert Müller ; mont : Peter Przygodda & Barbara von Weitershausen ; mu : Jürgen Knieper. Int : Rüdiger Vogler, Hans-Christian ’Mea’’, Nastassja Naksynski, Hanna Schygulla, Peter Kern, Ivan Desny, Marianne Hoppe, Elisabeth Kreuzer (RFA, 1974, 103 mn).