par Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma n°429, mai 2024
Sélection officielle Panorama de la Berlinale 2023
Sortie le mercredi 22 mai 2024
Un lycée militaire au Mexique : Luis, "poulain" de première année, subit avec ses camarades le bizutage traditionnel, en particulier de la part de Sierra, un supérieur sadique et corrompu. Mais alors que ses compagnons doivent endurer une brutalité croissante (encore plus oppressante car partiellement hors champ), Luis devient le protégé de Sierra.
Ainsi, en faisant de son héros non pas une tête de Turc mais un élu choyé par un bourreau, l’auteur étudie avec d’autant plus d’acuité la mécanique vicieuse qui transforme les hommes en monstres - la férocité de ce mécanisme étant accentuée par la nécessité des personnages de fuir un milieu social pauvre, empli de rancœur, où le lien familial ne compte plus face à la volonté de survie.
La transformation des hommes, reposant sur une logique d’humiliation, de complicité et de culpabilisation, est rendue particulièrement visible par le talent des interprètes. Santiago Sandoval Carbajal parvient à subtilement laisser transparaître dans ses regards l’angoisse et la violence qui infectent son esprit, comme ses tentatives pour y résister. Tandis que Fernando Cuautle incarne à la perfection un Sierra qui glace le sang, plus encore que par sa cruauté, par la bonhomie avec laquelle il commet ses crimes.
Un contraste symbolique naît de la différence physique entre les deux protagonistes : le premier, grand et maigre, face au second, râblé et bon vivant. Intelligemment, l’auteur montre l’altération de l’esprit de son personnage principal au travers de séquences mentales recourant à une lumière crue, à une colorimétrie sombre et à une absence de musique, qui transmettent angoisse, stress et tension.
Ces séquences montrent la conscience du héros, avilie par l’effroi à mesure que le film progresse, et l’astuce du réalisateur consiste à ne jamais annoncer clairement, ni à véritablement distinguer ses rêves des scènes réelles. Soit une opacité qui lui permet de rendre tangible le trouble intérieur grandissant de Luis. Un trouble encore accentué par l’incapacité de ce dernier à saisir pleinement le degré d’anormalité des violences endurées par les recrues.
Ce qui accroît la nature sordide et arbitraire d’un univers qui transforme ses membres en victimes ou en bourreaux, selon une hiérarchisation des individus qui semble ironiquement répondre à la prétention hypocrite de l’institution militaire de dissoudre les structures sociales ou ethniques en transformant les individus en soldats. Dissolution qui s’obtient par le biais d’une déshumanisation des individus pour en faire des guerriers efficaces, et qui les rend, justement, perméables aux vices. Conçu pour faire mal, Héroïco est un film efficace, qui laisse anxieux.
Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma n°429, mai 2024
Heroic (Heroico). Réal, sc : David Zonana ; ph : Carolina Costa ; mont : Oscar Figueroa Jara ; mu : Murcof ; cost : Gabriela Fernandez . Int : Santiago Sandoval Carbajal, Fernando Cuautle, Monica del Carmen, Carlos Gerardo Garcia (Mexique-Suède, 2023, 88 mn).