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Tableau noir (le) (2000)
de Samira Makhlabaf
publié le mardi 21 mai 2024

par Heike Hurst
Jeune Cinéma n°264, octobre 2000

Sélection officielle en compétition du Festival de Cannes 2000
Prix du Jury

Sortie le mercredi 11 octobre 2000


 


Le film de Samira Makhmalbaf est projeté en Iran dans sa version originale : parlé kurde avec des sous-titres en farsi. Mohsen Makhmalbaf avait écrit le scénario de son premier film La Pomme (1998), cette fois-ci, ils ont écrit ensemble le scénario du Tableau noir. Ils se sont basés sur des informations glanées dans des journaux. Une imagination avertie, nourrie en anecdotes politiques, a fait le reste.


 


 

L’histoire est simple : des instituteurs sans élèves, donc sans travail, errent dans les montagnes de la région frontalière du Kurdistan iranien. Leurs tableaux fixés sur le dos, ils se déplacent, oiseaux terrestres auxquels il manque le souffle pour déployer leurs ailes. Ils proposent d’enseigner contre un morceau de pain, contre rien. Mais les enfants sont occupés à faire de la contrebande. De leur génération, ils sont les seuls représentants. Les vieux veulent rejoindre leur pays, errent sur ces routes et vont payer l’instituteur avec 40 noix, s’il leur montre le chemin de la frontière pour rejoindre leurs terres.


 


 

Réflexion amère sur la transmission du savoir, chaîne cassée par la réalité cruelle des guerres successives, le film trouve un équilibre entre fiction et réalité, enchante par ses passages poétiques et cocasses : la femme qui marche avec tous ces vieux, dit d’elle "je suis comme un train, on monte dedans et on en descend, mais le seul pour lequel je m’arrêterai toujours, c’est mon fils !". Dans la séquence finale, un jeune contrebandier va être tué quand il saura enfin écrire son nom. Une lettre arrive, est-elle écrite en arabe, en turc ou en kurde ? En tous cas, elle n’est pas écrite en persan, mais l’instituteur qui sait la déchiffrer dit "votre fils pense à vous et vous aime, sinon il ne l’aurait pas écrite !". Probablement, il n’a pas su la lire.


 

Le film ne montre et ne dit que l’essentiel : l’essentiel c’est que le père soit rassuré, son fils en vie, son fils affectueux et fidèle. L’instituteur qui s’embarque avec les vieux qui marchent vers leur pays va perdre son unique richesse, son tableau, car au passage de la frontière, son mariage éclair avec la femme du convoi va être dissous. À titre de dédommagement, la femme va garder le tableau. Film âpre, une évocation au-delà de revendications territoriales ou humanitaires, une œuvre de maturité réussie par une jeune femme de 20 ans.


 

Samira Makhmalbaf raconte volontiers que son acceptation en tant que metteur en scène passait par l’épreuve de tout faire, tout montrer, tout traverser : elle est allée dans l’eau glacée pour montrer l’exemple, elle a grimpé avec son équipe pendant deux heures tous les jours pour rejoindre les lieux sauvages et escarpés où se déroule le film. Son frère, Maysen Makhmalbaf, a tourné le making-off du Tableau noir. Vêtue de son tchador, Samira Makhmalbaf arpente les sentiers, montre aux acteurs comment porter leur tableau, se brouille avec son comédien qui joue le personnage du vieux Kurde malade, le remplace. Membre du Jury à Venise, elle avait gardé son sourire de jeune fille émerveillée, mais tout en respectant les consignes, être vêtue du tchador, avoir les cheveux couverts, elle était devenue inapprochable : pas d’entretien, pas d’interview, la chape de silence. Être indépendante dans sa création justifie tout.

Heike Hurst
Jeune Cinéma n°264, octobre 2000


Le Tableau noir (Takhte Siāh)). Réal : Samira Makhlabaf ; sc : S.M., Mohsem Makhmalbaf & Mohamad Ahmadi ; ph : Ebrahim Ghafori ; mont : Mohsem Makhmalbaf ; mu : Mohammad Reza Darvishi. Int : Saïd Mahamadi, Bahman Ghobadi, Behnaz Jafari, Rafat Moradi, Mohamad Karim Rahmati, Mayas Rostami, Saman Akbari (Iran-Italie-Japon, 2000, 85 mn).



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