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Vierge des tueurs (la) (2000)
de Barbet Schroeder
publié le jeudi 23 mai 2024

par Heike Hurst
Jeune Cinéma n°264, octobre 2000

Sélections offiielle de la Mostra de Venise 2000

Sortie le mercredi 20 septembre 2000


 


Bien que né à Téhéran, Barbet Schroeder a passé une partie de son enfance en Colombie, où il retourne régulièrement. Il y a découvert les livres de Fernando Vallejo, écrivain colombien vivant au Mexique, et qui a lui-même adapté pour l’écran son dernier roman, La Vierge des tueurs. La voix intérieure de l’écrivain y est transformée en échange verbal quasi ininterrompu entre l’homme Fernando et l’adolescent Alexis - qui a la beauté troublante "du jeune Montgomery Clift", dit Barbet Schroeder - dans un récit d’apprentissage non pas unilatéral, mais réciproque : Fernando apprend à contrôler ses paroles. Car pour Alexis n’existent ni ironie, ni distance, ni pensées exprimées à haute voix, ni hypothèses, ni suppositions, tout ce qui constitue la matière de l’incertain. La pensée se transforme en ordre à exécuter.


 


 

Alexis va tuer le type qui gêne Fernando – "j’aimerais bien flinguer ce type qui m’empêche de dormir " -, car il ne connaît que le sens premier d’un mot. Il vit dans un monde sans médiations, dans lequel les mots ne servent qu’à dire ce qu’il faut faire. Les paroles qui symbolisent, qui mettent à distance, le plaisir de réfléchir, tout cela, il ne l’enregistre qu’après avoir agi, et parce que Fernando lui explique. Il doit être rapide, tirer le premier, pour ne pas être tué. Il trouve de drôles d’idées chez cet homme qu’il ne quitte plus. Leur histoire d’amour s’impose comme une évidence. Pas de poses, ni de scènes de lit. Le cinéaste filme leurs relations, de jour et de nuit, comme une "histoire simple". Ils rient ensemble, souvent dans les moments les plus terribles : lorsqu’une femme enceinte fait une crise de nerfs en criant sa douleur sur les cadavres de deux jeunes exécutés en pleine rue, ils rentrent pour mimer la scène, Alexis mettant un coussin sous son pull pour jouer la femme.


 


 

La violence de la ville, Medellin, nous étreint. Le bruit, les hurlements, les salves et les feux d’artifice que le cartel de la drogue prodigue aux habitants pour signifier qu’un de leurs bateaux a réussi à déjouer les barrages et les contrôles, et qu’il est arrivé aux USA. Des églises, belles et nombreuses, abritent le trafic et hébergent les toxicomanes. Luttant contre l’hypocrisie générale, Fernando tonne contre "ces gens qui font des enfants qui vont mourir dans quelques années", contre cet État qui n’est pas capable d’endiguer la criminalité - à Medellin, 97 % des crimes restent impunis -, ni d’arrêter les tueries. "Ceux qui, à 21 ans, sont encore en vie, parlent comme de vieux retraités" insiste Barbet Schroeder.


 


 


 

La colère de Fernando est contagieuse et forte, le film montre sans complaisance une génération sacrifiée où les termes de nos pays européens "espérance de vie", "troisième âge", "vieillesse heureuse" n’ont pas cours et sont terriblement déplacés. Aussi déplacées que les fonctions familiales ou parentales. Les pères, les adultes, les responsables constatent le fossé qui s’est creusé, et sont impuissants devant l’irréparable. Mis en face de ses enfants terribles, parfois angéliques en apparence, qui tuent comme ils respirent, rien ne tient. Ces "virgen" tueurs ne peuvent que répéter mécaniquement ce qu’ils voient autour d’eux jusqu’à ce qu’ils soient éliminés à leur tour.


 


 

Les positions antinatalistes, anticléricales de l’écrivain Fernando Vallejo constituent un engagement politique qui contient le germe d’une possible transformation de la société colombienne. Le film est fidèle aux positions subversives de son auteur. Quand German Jaramillo (Fernando) tire le rideau au finale, le spectateur a trouvé de la matière à réflexion pour un long moment. Car ce film parle d’un quart-monde, où la vie n’a plus de valeur, où seules la réflexion, la philosophie et la grammaire ont un sens. Mais où celui qui pratique encore ce genre de réflexion doit trouver la manière de la communiquer et de la transmettre. Comment faire, sinon, quand il n’y a plus d’imaginaire, ni de symbolique et que la barbarie se perpétue à l’infini ?

Heike Hurst
Jeune Cinéma n°264, octobre 2000


La Vierge des tueurs (La virgen de los sicarios)). Réal : Barbet Schroeder ; sc : Fernando Vallejo d’après son roman (1994) ; ph : Rodrigo Lalinde ; mont : Elsa Vasquez ; mu : Jorge Arriagada. Int : German Jaranillo, Anderson Ballesteros, Juan David Restrepo, Manuel Busquets, Cenobia Cano (Colombie, France-Espagne, 2000, 101 mn).



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