Cela - la déchéance d’une femme, de sa femme - "ne nécessite pas d’être montré", dit à un moment du film le personnage interprété par Jean-Louis Trintignant. C’est dire s’il s’agissait d’un défi pour Michael Haneke de consacrer 127 minutes de film à ce couple d’octogénaires, Georges et Anne, observés à peu près exclusivement dans leur appartement parisien, et dont la femme (Emmanuelle Riva) va subir le calvaire à la suite d’une attaque qui la laissera hémiplégique.

Ça pourrait être sinistre, c’est généralement poignant, grâce aux deux comédiens principaux, dont il est peu de dire qu’ils portent Amour sur leurs (frêles) épaules, et grâce à un registre de cruauté feutrée qui, autant que ce qui est montré, met l’accent sur ce qui passe entre les plans. Ainsi, pour le plus évident, du raccord qui fait se succéder Emmanuelle Riva à l’agonie puis, sans crier gare, la fille du couple, Isabelle Huppert, dissertant sur ses placements financiers.

Au cours des premières scènes, qui nous montrent Georges et Anne revenant d’un concert de piano - ils ont été tous les deux professeurs de musique -, on est surpris, et enchanté, de leur élocution délicieusement surannée, de ce timbre de voix presque intact, chez Emmanuelle Riva, depuis Hiroshima, mon amour de Alain Resnais (1959).

Cela ne rendra que plus douloureux, après "l’accident", cet essai de duo chanté en (dé)cadence sur Le Pont d’Avignon par les deux mélomanes. Ou encore, en plus glaçant, ce passage où Anne se met en scène en train de jouer un morceau de Schubert, avant que nous ne découvrions en contrechamp qu’il s’agissait d’un play back. C’est dans ces tentatives de renouer avec une mélodie perdue que repose le plus émouvant du film.

Patrick Saffar
Jeune Cinéma n°346, été 2012

Amour. Réal, sc : Michael Haneke ; ph : Darius Khondji ; mont : Monika Willi ; déc : Jean-Vincent Puzos ; cost : Catherine Leterrier. Int : Jean-Louis Trintignant, Emmanuelle Riva, Isabelle Huppert, William Shimell, Alexandre Tharaud (Autriche-France, 2012, 127 min).