par Lucien Logette
Jeune Cinéma n°285, été 2003
Sélection officielle en compétition du Festival de Cannes 2003
Prix du meilleur scénario
Prix de la meilleure actrice à Marie-José Croze
Oscar du meilleur film étranger 2004
Sortie le mercredi 24 septembre 2003
"Le prince des barbares arrive", déclare le héros sur son lit d’hôpital, en montrant son fils. C’est pourtant grâce à ce fils, rejeté "parce qu’il n’a jamais lu un livre", golden boy de la Bourse de Londres, "capitaliste ambitieux et puritain", que Rémy, toute sa vie "socialiste voluptueux", devra de mourir sans (trop de) souffrance. Tout le film baigne dans cette ambiguïté fondatrice, entre utopistes à bout de souffle et pragmatistes triomphants, dont la victoire est amère et l’avenir pas forcément radieux - pas sûr que le fils reparte intact sur la voie royale de la réussite…
Comédie générationnelle, comme il était dit un peu dédaigneusement dans les couloirs cannois ? Sans doute, puisque Denys Arcand a repris ses personnages (et ses acteurs) du Déclin de l’empire américain (1986). Dix-sept ans plus tard, le bilan est forcément lourd : des années flamboyantes aux années de glaciation, que reste-t-il de leurs amours et de leurs rêves, quelles traces auront-ils laissé de leur passage furtif, eux qui ont vécu en enfants perdus leurs aventures incomplètes ?
L’interrogation n’est pas neuve, d’accord. Elle nous avait rarement éclaté au visage avec tant de force, nous laissant sans voix et en larmes lorsque l’écran s’est éteint. Parce qu’on a connu presque tous les "ismes" que les héros ont traversés, parce qu’on a tissé nos rêves avec les mêmes fils, vibré aux mêmes chimères, franchi les mêmes ponts à la rencontre de semblables fantômes ? Assurément.
Et parce que, tous comptes faits, comme nous l’affirme le film, le voyage en valait la peine. Stylistiquement, Denys Arcand n’est peut-être pas Orson Welles, mais la déchirante justesse de son scénario méritait son prix.
Quant à Marie-Josée Croze, qui illuminait, il y a deux ans, le film Maelstrom de Denis Villeneuve (2000), elle semble créée pour illustrer le vers de Malherbe, "Beauté, mon beau souci...", et vient s’agréger somptueusement à la guirlande des dames du temps jadis que Rémy égrène au bord du gouffre.
Lucien Logette
Jeune Cinéma n°285, été 2003
Les Invasions barbares. Réal, sc : Denys Arcand ; ph : Guy Dufaux ; mont : Isabelle Dedieu ; mu : Pierre Aviat ; déc : François Séguin ; cost : Denis Sperdouklis. Int : Rémy Girard, Stéphane Rousseau, Marie-Josée Croze, Dorothée Berryman, Louise Portal, Yves Jacques, Marina Hands, Dominique Michel, Pierre Curzi (Canada-France, 2003, 112 mn).