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Il faut sauver le soldat Ryan (1998)
de Steven Spielberg
publié le mercredi 5 juin 2024

par Bernard Nave
Jeune Cinéma n°251, septembre 1998

Sélection officielle de la Mostra de Venise 1998
Cinq Oscars : meilleur réalisateur, meilleure photographie, meilleur montage, meilleur son, meilleur mixage.

Sorties les mercredis 30 septembre 1998 et 5 juin 2024


 


Avec Steven Spielberg, on a maintenant le choix entre films de pur divertissement et films dans lesquels il s’engage plus intimement. Certains chercheront à établir un lien organique entre ces deux facettes de sa production. Il n’en reste pas moins vrai qu’il y a une différence fondamentale de contenu, même si la recherche de l’efficacité sur le plan de la mise en scène reste identique. De toute évidence, Saving Private Ryan appartient à la première catégorie de films. Avec 1941 (1979), il avait abordé le film de guerre d’une manière plutôt marginale. Son nouveau film s’inscrit dans le genre de façon en apparence plus classique. Grandes scènes de combat, horreur de la mort, place de l’individu dans une grande machine qui le dépasse, toutes ces figures obligées apparaissent dans ce film.


 


 


 

Ce ne serait pas lui rendre justice que de le cantonner à ce lignage. À elle seule, la séquence du débarquement à Omaha Beach porte le genre à un degré de perfection rarement atteint. On s’attend à voir les principaux personnages prendre le devant de l’action. Or Steven Spielberg les met presque sur le même plan que tous les participants à cette reconstitution pour privilégier le réalisme et placer le spectateur dans la position de ces soldats anonymes lancés dans une aventure dont ils ne pouvaient mesurer l’ampleur. Une caméra extrêmement mobile, un travail sur la couleur proche des bandes filmées à l’époque par les militaires américains sous la direction de George Stevens, l’eau et le sang sur l’objectif, le son, tout vise à rendre sensible l’intensité de ce moment historique. D’une certaine manière, Steven Spielberg met tout son savoir-faire au service de l’Histoire. Ce qui touche à la reconstitution ne constitue qu’un aspect, certes important, de Saving Private Ryan. Le propos principal du film tient à ce travail de mémoire commencé avec La Liste de Schindler (1993), et poursuivi dans Amistad (1997).


 


 


 

La première séquence montre un vieil Américain accompagné de sa famille en visite au grand cimetière militaire de Normandie. Au milieu de l’ensemble impressionnant de croix, il s’arrête sur l’une d’elle dont on ne voit pas le nom. Le fondu sur son visage en gros plan enchaîne directement sur la séquence d’Omaha Beach. À la fin du film, on revient sur le visage du vieil homme dont on sait maintenant qu’il est le Ryan du titre et le nom inscrit sur la croix. Cette première séquence entame toutefois ce qui sera au cœur du scénario en faisant apparaître les personnages qui constitueront le groupe central de l’histoire. Mais jusqu’à présent, Steven Spielberg n’a introduit aucun élément d’héroïsation, de psychologie qui aurait permis au spectateur de s’attacher à des acteurs même si on les a reconnus au passage. Le cœur du récit rejoint donc davantage le film de genre.


 


 


 

Un groupe de soldats emmené par un capitaine (Tom Hanks) est chargé de retrouver dans le chaos des premiers jours en Normandie le soldat Ryan dont les autres frères sont morts pour sauver au moins le dernier des fils de la famille. Cette décision, prise au plus haut niveau, entraîne donc ces hommes à risquer leur vie pour un seul soldat alors que la priorité semble être toute différente. La fiction peut alors se développer, les personnages se constituer, les situations se construire en fonction de l’action annoncée. Mais à l’intérieur de ce corpus narratif, le cinéaste maintient le cap de la séquence du débarquement, à savoir ce souci de réalisme qui donne à l’ensemble du film son aspect tellement novateur. Si certains moments peuvent paraître un peu moins forts - mais quel film pourrait maintenir l’intensité de la première demi-heure ? -, il en est qui constituent de grands moments de cinéma : la voix de Édith Piaf dans le silence du village en ruines avant la grande séquence de combat contre les Allemands venus pour essayer de détruire un pont stratégique.


 


 

Certains vont bien sûr critiquer le patriotisme naïf de Steven Spielberg - le film s’ouvre et se clôt sur le drapeau américain. Mais il faut se souvenir qu’il s’adresse d’abord à un public national qui a, en grande partie, perdu la mémoire de l’engagement total de ces hommes anonymes dont les noms reposent sur ces alignements sans fin de croix blanches en Normandie. Œuvre de mémoire donc, mais aussi appel à ce qu’il peut y avoir de meilleur dans l’Amérique profonde et que les dernières paroles du soldat Ryan sur la tombe du capitaine expriment assez bien. Si tout le film baigne aussi dans un sentiment d’amertume - les copains disparus, les horreurs de la guerre, la perte de l’innocence, Steven Spielberg l’éclaire aussi de ce sentiment démocratique qu’ont si bien illustré quelques-uns uns de ses prédécesseurs dans ce que le cinéma américain a connu de meilleur.

Bernard Nave
Jeune Cinéma n°251, septembre 1998


Il faut sauver le soldat Ryan (Saving Private Ryan). Réal : Steven Spielberg ; sc : Robert Rodat ; ph : Janusz Kamins¬ki ; mont : Michael Kahn ; mu : John Williams. Int : Tom Hanks, Edward Burns, Matt Damon, Tom Sizemore, Jeremy Davies, Adam Goldberg (USA, 1998, 167 mn).



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