Quelques jours dans la vie d’une jeune femme au chevet de son mari dans le coma, blessé à la nuque par une balle.
Dans un pays en proie à la guerre civile, livrée à elle-même dans un univers hostile, elle se réfugie la nuit chez sa tante, une femme indépendante qui tient une maison close et à qui elle a confié ses deux filles.
Elle revient chaque jour dans sa maison en ruines pour prendre soin de son mari.
Ces longs moments de veille, entrecoupés par les bruits de la guerre, l’intrusion de soldats, la visite du mollah, les voisins qui enterrent leurs morts, seront l’occasion pour elle de confier ses souffrances, ses frustrations à son mari et petit à petit de lui livrer ses plus lourds secrets et ses désirs intimes.
Atiq Rahimi, écrivain afghan exilé en France, réalise la version cinématographique de son roman homonyme distingué en 2008 par le prix Goncourt, avec le concours de Jean-Claude Carrière au scénario.
Il avait déjà porté à l’écran son premier roman, Terres et Cendres, en 2004.
Et ceux qui s’attendraient, avec ce film, à mieux comprendre la situation politique en Afghanistan seront déçus, car il s’agit d’un huis clos et la guerre fait rage à l’extérieur.
Le roman indiquait en son début : "En Afghanistan ou ailleurs", soulignant, avec un contexte historique et géographique ainsi oblitéré, que le propos n’est pas documentaire ni réaliste mais d’ordre fictionnel, dans lequel l’imagination dévoile un monde possible.
Et c’est précisément l’histoire d’une femme qui se "dévoile" : entre sens du devoir et exaspération, elle finit par prendre son mari comme confident malgré lui.
C’est un homme violent et maladroit qui a rejoint le djihad pendant la guerre civile ; elle ne l’a pas choisi et il ne l’a jamais aimée et encore moins comprise.
Elle se libère par la parole jusqu’à la rage tout en se délestant de ses frustrations, et son mari devient son exutoire, sa "pierre de patience" (syngué sabour).
Du livre, dont la simplicité du style et des descriptions avait déjà des allures de scénario, au film, Atiq Rahimi travaille la même œuvre, en lui trouvant une matière visuelle très riche.
Le film avance, soutenu par cette tension fiévreuse qui se noue entre les confessions de la femme et le silence de l’homme transformé en pierre à qui l’on parle, et, comme un ballon qui se gonfle, finit par éclater.
C’est la très belle Golshifteh Farahani, fragile et courageuse, qui donne toute sa détermination à cette femme qui se libère.
Et paradoxalement, l’acteur Hamidreza Javdan dote son personnage réduit à l’état de pierre d’une présence étonnante.
Ils sont rares les écrivains qui ont porté eux-mêmes leur œuvre à l’écran, et à ce titre Syngué sabour, du livre au film, est une belle réussite.
René Neufville
Jeune Cinéma en ligne directe (mars 2015)
Syngué sabour. Pierre de patience. Réal : Atiq Rahimi ; sc : AR & Jean-Claude Carrière ; ph : Thierry Arbogast ; mint : Hervé de Luze ; mu : Max Richter. Int : Golshifteh Farahani, Hamidreza Javdan, Hassin Burgan , Massi Mrowat (Grande-Bretagne-France, 2013, 102 mn).