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Que la bête meure (1952)
de Roman Viñoly Barreto
publié le mercredi 19 juin 2024

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°429, mai 2024

Sélection officielle du Festival de cinéma de Mar del Plata 1997

Sortie le mercredi 19 juin 2024


 


Ce film argentin du cinéaste uruguayen Román Viñoly Barreto date de 1952. Il s’agit d’une adaptation du roman policier anglo-saxon The Beast Must Die, publié en 1938 par Cecil Day-Lewis, sous le pseudonyme de Nicholas Blake. Le texte fut retravaillé par le metteur en scène et son acteur principal, Narciso Ibáñez Menta, qui en ont localisé l’action en Argentine. Néanmoins, un certain nombre de personnages conservent leurs noms anglais. Claude Chabrol, en 1969, tira Que la bête meure du même roman.


 


 


 

Une grosse cylindrée passe le porche d’une demeure de style victorien. En sort un homme, Jorge Rattery, qui, avant d’invectiver les familiers réunis autour de la table pour un déjeuner formel, avale d’un trait son médicament contre les troubles digestifs d’origine nerveuse. Le climat paraît tendu. S’ensuit une altercation entre l’hôte et sa belle-sœur, qui lui reproche de ne pas avoir convié un certain Felix. Ce que Jorge prend très mal. Il lui rétorque que cet homme est un imposteur. Soudain, il s’effondre en hurlant qu’il a été empoisonné. Il n’a pas le temps d’en dire plus. La police est appelée, qui constate que chacun aurait eu une bonne raison d’empoisonner le maître des lieux : sa femme qu’il battait, son beau-fils qu’il maltraitait, un associé en affaires plus ou moins douteuses.


 


 


 

Le récit est interrompu par un flashback, situé au bord de l’océan, dans lequel l’ambiance est tout autre. Nous faisons connaissance avec le Felix en question, un mathématicien veuf en charge d’un adolescent, et qui, depuis la mort de sa femme, écrit des romans policiers. Lui et son fils, de retour d’une virée en voilier, s’apprêtent à recevoir un invité. L’enfant, parti chercher des cigarettes, ne revient pas, une fois la nuit tombée. Le spectateur en sait la raison avant le protagoniste : l’enfant a été écrasé par une Buick roulant à tombeau ouvert sous la pluie. Il gît sur le bas-côté de la chaussée, ce que découvre le père parti à sa recherche. À côté de la victime se trouve un phare de voiture. L’écrivain est bouleversé. La police étant aux abonnés absents, il décide de mener sa propre enquête pour retrouver le responsable de l’accident, coupable en sus d’un délit de fuite. Et de faire justice lui-même. Il envisage ces recherches de la même manière qu’il écrit ses romans policiers.


 


 


 

La Bible le renforce. Comme l’annonce le titre du film qui paraphrase l’Ecclésiaste (comme le fera Claude Chabrol), "La Bête doit mourir". Le hasard faisant bien les choses, Felix recueille le témoignage d’une paysanne qui s’avère être cinéphile et qui a reconnu la passagère au côté du chauffeur du véhicule, qui a poursuivi sa course dans son champ. La fermière a aidé à désembourber la voiture et a obtenu de la jeune femme, actrice de cinéma, une photo dédicacée. Le 7e Art intervient donc dans la trame du récit au même titre que le dispositif du roman policier. À partir de cette information que seule une passionnée de salles obscures pouvait lui fournir, le mathématicien devenu romancier fait en sorte d’approcher et de charmer la starlette pour, par elle, atteindre la Bête. Le chauffard en question n’étant autre que le beau-frère de la vedette…


 

La bestia debe morir dépeint par ailleurs un monde bourgeois prétendument respectable, en réalité vénal et corrompu, où règne la lâcheté. L’outsider est ici représenté par un intellectuel raffiné en quête de vérité, remarquablement interprété par le coscénariste, Narciso Ibáñez Menta. Le contraste entre l’enquêteur et sa proie, Jorge Rattery (Guillermo Battaglia), personnage vulgaire et suffisant, est impressionnant. L’actrice qu’incarne Laura Hidalgo a le glamour des stars hollywoodiennes de l’époque. Ce film noir mérite son qualificatif ne serait-ce que par les superbes effets d’éclairage signés Alberto Etchebehere. Les gris brumeux, les vues de vagues aux moments pathétiques, les anamorphoses photographiques traduisent l’atmosphère de cette ténébreuse affaire.

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°429, mai 2024


Que la bête meure (La bestia debe morir). Réal, sc : Roman Vinoly Barreto ; sc : Narciso Ibañez Menta d’après Nicholas Blake ; ph : Alberto Etchebehere ; mont : José Serra ; mu : Silvio Vernazza. Int : Narciso Ibañez Menta ; Laura Hidalgo, Guillermo Battaglia, Milagros de la Vega (Argentine, 1952, 95 mn).



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