par Bernard Nave
Jeune Cinéma n° 364, hiver 2015
Sélection officielle de la Mostra de Venise 2014
Sortie le mercredi 8 avril 2015
Le dernier film de Mario Martone a été sélectionné à Venise et diversement accueilli par la critique italienne.
Le film était attendu, venant d’un réalisateur parcimonieux mais précieux, tant ce qu’il nous a offert jusqu’ici est marqué du sceau de l’intelligence.
S’il s’attaquait à la vie de Leopardi, on pouvait attendre de lui autre chose qu’un biopic, terme tellement galvaudé et horrible, surtout pour parler de ce véritable chef- d’œuvre.
Du début à la fin, les choix de Martone associent, dans un même mouvement, fidélité à l’œuvre et au personnage, et choix de mise en scène constamment inspirés.
En même temps qu’il suit l’itinéraire géographique de Leopardi, Martone construit un autre voyage, celui d’un poète dans une Italie en pleine mutation, celui d’un corps qui s’étiole.
Recanati d’abord, la demeure de la famille dans les paysages harmonieux des Marches.
Ce sont les années de formation, sous la férule d’un père autoritaire, aux idées conservatrices, qui enferme ses trois enfants dans sa riche bibliothèque pour en faire des lettrés de premier ordre.
Le jeune Giacomo se montre extrêmement brillant, mais finit par ne plus supporter ce qu’il perçoit comme une prison. Il rêve de découvrir ce monde que son père dérobe à sa curiosité.
Le film suit alors les étapes du voyage de Leopardi à travers l’Italie : Florence, Rome, Naples pour finir dans une villa (la Ginestra) sur les pentes du Vésuve au moment d’une éruption.
Dans la première ville, il rencontre Fanny et l’ami Antonio Ranieri qui deviennent ses fidèles compagnons. Il se confronte à la bourgeoisie intellectuelle, moins intéressée par sa poésie que par ses positions progressistes, qui choquent.
L’épisode napolitain est sans nul doute le plus magnifique. Non seulement Leopardi y découvre une autre réalité, celle de la misère, mais il se trouve confronté à la présence de la malaria. Pour lui faire connaître la sexualité, on le conduit dans le quartier des prostituées, une série de cavernes qui ressemblent à un enfer.
Le film est un véritable émerveillement.
D’abord parce que le travail de reconstitution y est remarquable.
Martone filme autant qu’il le peut dans les décors réels, par exemple la demeure familiale de Recanati.
La vision de Naples dépasse le souci de réalisme pour atteindre au baroque, voire au fantastique. Martone en vient et cela se sent.
Renato Berta à la photo contribue à la beauté plastique de tout le film, dans un souci de correspondance avec ce que vit Leopardi en tant que poète.
Le choix des textes ne vise pas à établir un florilège de la poétique léopardienne, mais à scander dans une sorte de crescendo la recherche d’une perfection de la langue et de son rythme.
Et puis, le film repose aussi sur l’impressionnante prestation de Elio Germano, dont le corps épouse l’épuisement des déformations, de la maladie.
Son regard est illuminé par une force, un feu intérieur, proches de la folie.
Lorsqu’il dit les textes qui lui viennent, Martone le filme en plans-séquence, conservant ainsi la performance de l’acteur et la continuité des textes.
Bernard Nave
Jeune Cinéma n° 364, hiver 2015
Leopardi (Il giovane favoloso). Réal, sc : Mario Martone ; ph : Renato Berta ; mu : Sascha Ring. Int : Elio Germano, Isabella Ragonese, Michele Riondino, Anna Mouglalis, Valerio Binasco (Italie, 2014, 137 mn).