home > Films > Crépuscule (1990)
Crépuscule (1990)
de György Fehér
publié le lundi 1er juillet 2024

par Francis Guermann
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection officielle du Festival de Locarno 1990
Léopard de bronze

Sortie le mercredi 12 juin 2024


 


Film lent et d’une atmosphère terriblement sombre, photographié en un somptueux noir & blanc, Crépuscule, du Hongrois György Fehér, réalisé en 1990, sort en France dans une belle version restaurée.


 


 

Une enquête criminelle conduit un inspecteur sur la piste d’un meurtrier d’enfant dans une région montagneuse et brumeuse où vit une population de villageois méfiants et peu diserts. L’enquête piétine, le principal suspect, un colporteur, se suicide après son interrogatoire. La fillette assassinée avait raconté à ses amies qu’un géant, dans la forêt, lui avait donné de "petits hérissons" et elle avait laissé dans son école un dessin le représentant. L’inspecteur poursuit l’enquête, dans un désarroi de plus en plus grand, sans qu’aucune piste ne se dessine sauf à surveiller une autre fillette, future victime potentielle du "géant".


 


 

Le film mène son spectateur dans une sorte d’arrière-pays ralenti, hors de toute situation temporelle et de tout réalisme. L’histoire est traitée comme une réminiscence, avec de forts relents psychiques de ses personnages : l’innocence de l’enfance, la culpabilité des adultes et, en filigrane, un poids collectif accablant. Elle mêle un aspect de conte (le géant dans la forêt s’en prend aux enfants ; le village se présente comme un labyrinthe) à une mystique de la nature (une nature ample, mystérieuse, oppressante, qui englobe tout). Les actions ne sont pas détaillées, seules leurs conséquences sont visibles. De longs travellings suivent les personnages, des gros plans les immobilisent face à face. Ces personnages n’ont pas vraiment de psychologie, ils sont traités comme des archétypes, des figures, stylisés comme l’est tout ce film. On n’a pas droit à des explications, on n’a pas accès à tout. Les indices policiers sont entr’aperçus : quelques photos dans les mains de l’inspecteur, un dessin sur le mur de la classe...


 


 

La construction du film est précise ; les scènes se suivent comme autant de tableaux, entrecoupées de vues de paysages vastes et brumeux sur lesquels une bande-son composée de chœurs ou de grondements participe au sentiment d’oppression. Les points de vue varient, de celui de l’enfance (la découverte du monde sans pouvoir l’interpréter) à celui des adultes (l’inspecteur, les villageois). Tout mène vers l’irrésolution de l’affaire criminelle, avec une fin inattendue et suspendue.


 


 

Tiré du roman de Friedrich Dürrenmatt, La Promesse (1958), lui-même inspiré d’un scénario que l’écrivain avait écrit pour un film de Ladislas Vajda, Ça s’est passé en plein jour (1958), Crépuscule appartient à ce courant du cinéma hongrois où s’est illustré Béla Tarr (1), courant caractérisé par ses audaces formelles (retour au noir & blanc, lenteur, précision technique) et ses atmosphères sans espoir.


 


 

En 2001, l’acteur et réalisateur américain Sean Penn a proposé son adaptation du roman avec son film The Pledge, dans lequel le rôle de l’inspecteur est tenu par Jack Nicholson, accompagné d’une pléthore de vedettes (Benicio Del Toro, Helen Miren, Patricia Carlson, Aaron Eckhart). Son film n’est pas sans reprendre quelques traits de celui de György Fehér : l’atmosphère très sombre, le sentiment d’impuissance qu’ont les protagonistes. Mais, par contraste, on mesure son éloignement de celui-ci, bien plus radical dans ses choix esthétiques et sa noirceur, et qui semble appartenir souterrainement à une autre culture, européenne, dans laquelle de prestigieux prédécesseurs se sont illustrés - Andreï Tarkovski dans L’Enfance d’Ivan (1962), Miklos Jancso dans Psaume rouge (1972), ou même Ingmar Bergman dans La Nuit des forains (1953).


 


 

Crépuscule est un film magistral qu’on retient comme un rêve persistant, un peu cauchemardesque. Il touche son spectateur en des zones inconscientes où se mêlent réminiscences de l’enfance innocente et angoisses et remords de l’âge adulte. György Fehér n’a réalisé que deux longs métrages (2). Il a disparu en 2002 à l’âge de 63 ans.

Francis Guermann
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Béla Tarr a été consultant sur Crépuscule, et György Fehér a produit son Sátántangó (1994).

2. György Fehér (1939-2002) a réalisé entre 1969 et 1998, deux courts métrages, 9 téléfilms et deux films de fictions : après Crépuscule en 1990, Passion (Szenvedély), sélectionné au Festival de Cannes 1998, dans la section Un certain regard, d’après Le facteur sonne toujours deux fois de James M. Cain (1934).


Crépuscule (Szürkület). Réal, sc : György Fehér ; ph : Miklós Gurban ; mu : Lászlo Vidovszki ; mont : Mária Czeilik. Int : Péter Haumann, János Derzsi, Gyula Pauer, Judith Pogani, László Németh, Miklós Székely B (Hongrie, 1990, 100mn).



Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts