home > Films > eXistenZ (1998)
eXistenZ (1998)
de David Cronenberg
publié le mercredi 3 juillet 2024

par René Prédal
Jeune Cinéma n°255, mai-juin 1999

Sélection officielle en compétition de la Berlinale 1999
Ours d’argent

Sorties les mercredis 14 avril 1999 et 3 juillet 2024


 


Les problèmes identitaires viscéralement inscrits dans les mutations biologiques de chairs à vif ont toujours été au cœur des œuvres de David Cronenberg. Aussi l’intégrité même de la personne humaine est-elle encore, dans eXistenZ, radicalement mise à mal par un nouveau jeu vidéo qui se dérègle et abandonne ses participants dans un no man’s land crépusculaire éclaté entre réel et virtuel. Moins ambitieux, mais pas pour autant moins inquiétant, que Crash (1), eXistenZ est donc à la fois un film de genre (science-fiction créneau "futur proche"), et une plaisante reprise (l’humour n’est pas absent) des principales constantes de l’univers du cinéaste qui, dans cette mesure, travaille un peu ici à la manière de Alfred Hitchcock pour La Mort aux trousses (1959).


 


 


 

L’organique le dispute au psychique, comme le dégoût à la sensualité, et les "trouvailles" sont à la fois cocasses et rebutantes : le pod en matière vivante à la place de la console informatique, le cordon ombilical comme fil électrique, le bioport branché directement sur la moelle épinière, les batraciens mutants, et le pistolet en mâchoire de chien lançant des molaires en guise de balles....


 


 


 

Plus le monde se robotise et s’électronise, plus le quotidien s’englue inversement dans les débordements d’organes dégénérés, de viscères verdâtres, de tendons et de filaments nerveux qui cassent, s’emmêlent ou emprisonnent. Le sale, le laid, le sordide sont partout, la bestialité se cache mal derrière le ludique ou le scientifique, le faux se révèle plus appétant qu’un vrai médiocre et gris. L’homme du tout technologique est en somme resté proche du Néandertal, car l’horreur se love dans notre chair meurtrie aux plaies ouvertes, plus encore que dans l’imagination malade de notre cerveau schizophrène.


 


 


 

Alors que les jeux vidéo d’aujourd’hui adoptent un montage rapide, des couleurs fluo et une violence mécanique style pub ou clip, eXistenZ installe, non sans culot, un rythme lent et une image plastiquement très composée pour réfléchir ce jeu en vraie grandeur où les morts ne se relèvent plus et d’où l’on peut ramener dans un réel de plus en plus hypothétique d’étranges accessoires mouvants. En filmant la poursuite d’un couple formé du naïf ignorant et de la super-créatrice de jeux virtuels dans un espace-temps qui se dérobe sous leurs pieds et échappe à leur raison, David Cronenberg brouille les pistes du récit comme il bouscule les valeurs : le lisse, le clair et le froid du classique univers métallique de SF régressent, dans eXistenZ, vers le sanguin, le sombre et le chaud d’un vivant des premiers temps avec ses opérations monstrueuses et ses effrayantes réactions cellulaires que le cerveau ne contrôle plus.


 


 


 

Mais eXistenZ est aussi un jeu, et, s’il tourne mal pour les protagonistes de l’histoire, il ravira les spectateurs par l’intelligente habileté d’une réalisation qui ne tombe dans aucun piège du genre, autour duquel le cinéaste tourne d’abord élégamment, avant d’abandonner le film au vertige d’une spirale dramatique qui le précipite au cœur d’un ailleurs délicieusement fantastique.

René Prédal
Jeune Cinéma n°255, mai-juin 1999

1. Crash Divagations, et Crash. À propos de sa réception à Cannes, Jeune Cinéma n°239, septembre-octobre 1996.


eXistenZ. Réal, sc : David Cronenberg ; ph : Peur Suschitzky ; mont : Ronald Sanders ; mu : Howard Shore ; déc : Carol Spier. Int : Jennifer Jason-Leigh, Jude Law, Ian Holm, Willem Dafoe, Don McKellar, Callum Keith Rennie, Christopher Eccleston, Sarah Polley (Canada-Royaume-Uni-France, 1998, 96 mn).



Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts