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Matria (2023)
de Alvaro Gago
publié le mercredi 3 juillet 2024

par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection officielle Panorama de la Berlinale 2023

Sortie le mercredi 3 juillet 2024


 


Inspiré de l’histoire vraie de l’aide-ménagère du grand-père du réalisateur, Francisca Iglesias Bouzón, ce film semble être le développement du seul court-métrage que ce monteur et professeur installé à Londres a réalisé. Sorti en 2017, il portait déjà le titre Matria et il était interprété par Francisca elle-même, trop fatiguée actuellement pour reprendre le rôle principal dans le long métrage, mais qui y fait une apparition.


 

Tourné en Galice, communauté autonome du Nord-Ouest de l’Espagne, ex-région industrielle avec ses traditions et sa langue propres, défendues farouchement jusqu’alors mais qui se meurt lentement, Matria est un beau film dont le nom renvoie bien sûr aux nouvelles déformations linguistiques censées apporter plus de féminisme aux âpres langues réputées patriarcales. Donc ce n’est pas à une patrie que rêve Ramona, le personnage principal, mais à une "matrie", un pays imaginaire qu’elle décide, non de s’inventer mais de se construire pour fuir son quotidien difficile et contraignant. On l’a dit, la région durement touchée par la crise économique déjà dans l’après-franquisme et par les délocalisations imposées par le libéralisme, traverse une grave crise qui se cristallise autour du personnage de Ramona qui se bat et court sans cesse pour tenter de survivre.


 


 

Sorte de mixte entre Elle court, elle court la banlieue, bluette grave de Gérard Pirès sortie en 1973, et Mamma Roma de Pier Paolo Pasolini en 1962, référence assumée et même revendiquée par Alvaro Gago, Matria est servi par un casting extraordinaire à commencer par le personnage féminin principal, interprété par María Vazquez, petite rousse ultradynamique, sorte de Isabelle Huppert qui aurait traversé les Pyrénées et aurait connu la condition ouvrière.


 

En effet, Ramona dès le début du film est ouvrière dans une conserverie et elle complète ses revenus en venant le soir travailler sur un bateau de pêche. Toute dévouée aux autres, à commencer par sa fille indifférente et sa brute de mari, elle finira par se faire licencier parce qu’elle refuse les nouvelles propositions salariales du repreneur, et acceptera l’emploi d’aide-ménagère à temps partiel chez un vieil homme, veuf depuis peu et à qui elle va changer la vie par sa bonté, son dynamisme et sa gentillesse un peu rude.


 

Mais, peu à peu, Ramona se rend compte que, si elle pense tant aux autres, la réciproque est rarement vraie, et elle va décider de ne vivre que pour elle et faire exister ce "pays" imaginaire en fuyant celui qui l’emprisonne. C’est là que le film devient moins intéressant et semble presque bâclé puisqu’il se met tout à coup à obéir à une sorte d’idéologie féministe et se transforme avec un happy-end qui l’affadit quelque peu. Mais il faut bien donner espoir aux exploités et aux malheureux, maintenant que le cinéma se croit investi d’une mission éducative et politique.


 

Depuis son court-métrage, sélectionné au Festival de Clermont-Ferrand 2018 et dans divers festivals du monde, le réalisateur avait en tête cette fin, son long métrage lui en a donné l’opportunité : "Dans le court métrage, j’avais choisi de me concentrer essentiellement sur le combat de Ramona au quotidien. Je n’avais pas assez de temps pour traiter sa relation avec sa famille ou son mari. Je me suis dit que je devais la sortir de ce cercle infernal. Je voulais lui donner une chance de le briser".

Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe


Matria. Réal, sc : Alvaro Gago ; ph : Lucía C. Pan ; mont : Ricardo Saraiva ; mu : Patricia Cadaveira ; Marcel Pascual ; déc : Melania Freire ; cost : Uxía P. Vaello. Int : María Vázquez, Isabel Naveira, Santi Prego, Tatán, Susana Sampedro, Soraya Luaces (Espagne, 2023, 99 mn).



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