home > Films > On est vivants ! (2014)
On est vivants ! (2014)
de Carmen Castillo
publié le mardi 28 avril 2015

par Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma n° 365 mai 2015

Sortie le mercredi 29 avril 2015


 


Dans Rue Santa Fe (2007), Carmen Castillo évoquait les années Allende, et la mémoire mélancolique de la chaude et jeune fraternité au sein du MIR (1), brutalement dépecé. C’était un film intimiste, un entre-soi. En sortant de la séance, les non-initiés en savaient à peine plus sur les engagements du MIR, et son histoire aurait pu aussi bien concerner d’autres causes.
Dans On est vivants, les objectifs des luttes sont explicites. Il s’agit du sixième film de Castillo en tant que réalisatrice (2), et il est accessible à un plus large public.


 


 

Ce documentaire, à la fois historique et actuel, illustre un demi-siècle de mobilisations populaires : les mouvements des sans-terre du Brésil ou le combat pour l’eau en Bolivie.
Mais aussi les luttes en France : pour l’emploi (chez Donges), pour la diversité culturelle (à Marseille, "pour arracher Marseille aux bandes"), pour le logement (partout). Il s’agit des grandes causes contemporaines de Daniel Bensaïd, inspirateur et camarade de la narratrice.

Le contexte est solidement campé : Olivier Besancenot, Alain Krivine, Jean-Marc Rouillan, Daniel Bensaïd surtout, sont bien présents, "toujours sur le front, toujours sur le pont". Les images sont belles et les figurants très vivants, même si leur seule victoire ne réside parfois que dans "le tissage d’amitiés indestructibles".


 

Quelques détails décalés, pourtant, étonnent : un voyage en 1ère classe, une femme juste un peu trop chic…
Et surtout le surgissement, de temps à autre, de ce vocabulaire nouveau, désamorcé, dépouillé de son histoire. C’est ainsi que la voix parle de la "souffrance au travail", alors qu’autrefois on aurait parlé d’exploitation. Plus sentimental, plus "empathique", mainstream des médias. Un jour, on a cessé de parler de "lutte de classes", pour ne pas effrayer les nouveaux travailleurs-électeurs. Tout l’écheveau de la langue de bois d’autrefois s’est alors dévidé. Elle était devenue inefficace, certes, et risible. Mais, quand on parle des "milieux populaires", que de perte de sens !
Carmen Castillo aurait-elle dû forger de nouveaux mots, ou en recycler des anciens, comme le font les nouvelles générations, grecques ou espagnoles ?


 

En fait, le vrai thème de ce documentaire subjectif, c’est la perception militante individuelle, et les liens forts des engagés.
C’est aussi le vrai spectacle du vrai monde, ici et maintenant - celui qu’on évacue au rythme du surgissement de chaque génération (tous les 20 ans), sauf dans les moments calcifiés des commémorations. Comme les séquences muettes, inconciliables, de la fausse innocence de l’herbe qui repousse à Auschwitz.

Peut-être, manque-t-il, dans cette sévère nostalgie, juste quelques éclats de rire -
pourtant fréquents, on s’en souvient, dans ces grands épisodes de l’histoire sociale.
Peut-être est-ce le seul fou rire de Fatima, qui redonne courage.


 


 

Car le départ de Daniel Bensaïd, qui savait rire, n’a rien interrompu. (3)

Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma n° 365 mai 2015

1. MIR : Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR) (Movimiento de Izquierda Revolucionaria), né en 1965.

2. On se souvient du film de Fabienne Servan-Schreiber & Pierre Devert, Murs de Santiago (1983), auquel Carmen Castillo avait largement collaboré pour le scénario.

3. Daniel Bensaïd (1946-2010), dirigeant de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) et de la Quatrième Internationale.


On est vivants. Réal, sc : Carmen Castillo ; image : Ned Burgess ; son : Jean-Jacques Quinet ; mont : Eva Feigeles-Aimé ; mu : Jacques Davidovici (France-Belgique, 2014, 103 mn). Documentaire.



Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts