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Jofroi (1933)
de Marcel Pagnol
publié le mercredi 24 juillet 2024

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe

Sorties les mercredis 24 juillet 2024


 


La première fois que Marcel Pagnol passa derrière la caméra, ce fut en 1933, pour Le Gendre de Monsieur Poirier, l’adaptation d’une pièce de Émile Augier & Jules Sandeau dont il réécrivit les dialogues. Les producteurs, estimant le métrage trop court, lui demandèrent, en complément de programme, un moyen métrage d’une durée de 40 à 50 minutes. Marcel Pagnol leur proposa Jofroi, une nouvelle dont Jean Giono lui céda les droits. Il rédigea en un temps record scénario et dialogues. Se posa alors la question du casting. Il n’osa confier à Raimu un rôle aussi court. Lorsque le metteur en scène demanda à ses collaborateurs qui ils verraient pour incarner l’irascible sexagénaire, héros de l’histoire, Vincent Scotto, l’auteur-compositeurs d’innombrables chansons à succès - parmi lesquelles "La Petite Tonkinoise" et "J’ai deux amours", répondit tout simplement : "Moi". Pour compléter la distribution, il fit appel à des amateurs et à des débutants tels que Charles Blavette et Henri Poupon qui interpréta Fonse, l’antagoniste de Jofroi.


 

En dehors de la scène d’ouverture chez le notaire, le film se déroule entièrement en extérieurs, dans le village de La Treille où Marcel Pagnol passait ses vacances lorsqu’il était enfant. Les figurants sont les gens du cru. Ce cadre champêtre et le naturel des comédiens font du film un régal. À quoi s’ajoute le perpetuum mobile qui contraste étonnamment avec les premiers volets de la trilogie (et manquera aussi à César ). Tout le village accourt pour tenter de dissuader Jofroi, le vieux fou, de sauter du toit de l’église ; pour le relever lorsqu’il s’est étendu au milieu de la route attendant d’être écrasé ; ou pour le dépendre d’un platane avant l’issue fatale. Parfois, seul un quatuor se déplace : le gros et gras curé, Monsieur l’Instituteur, Tonin, addict au pastis et aux boules, et Fonse, qui dans cette affaire a tout à perdre.


 

Cette agitation est entrecoupée de doctes dialogues, où l’ecclésiastique et l’enseignant, qui se posent en médiateurs, usent de termes que leurs congénères reprennent avec révérence, sans forcément les comprendre - par exemple, "métaphysique" ou "sophisme". Les courses-poursuites sont dignes des burlesques américains. La caméra est alors aussi fluide que possible. Le rythme est, plus qu’à l’accoutumée, vif, le récit, riche en bonds et en rebondissements.


 

Quel est l’argument ? Une querelle de voisinage ? Plus grave que cela, en réalité : Jofroi a vendu son verger à Fonse, devant notaire (séquence du début), pour pouvoir s’acheter une rente viagère. Verger rimant ici avec viager. Or Fonse, le nouveau propriétaire, décide, littéralement, de "faire du blé". Il attèle sa carriole, s’arme de pics et de pioches et commence à s’en prendre aux vieux abricotiers stériles depuis vingt ans. Le sang de Jofroi ne fait qu’un tour. Il arrive avec son fusil et met Fonse en joue : "Toi, grand malfaisant, pourquoi tu veux les arracher ? Ne reviens jamais, assassin !". Jamais il n’évoque le droit de propriété. Au forum, au curé et à l’instituteur, il déclare : "Ça, c’est des choses qu’on n’apprend pas à l’école ; on n’a pas le droit d’arracher les arbres des autres ; c’est parce qu’ils sont vieux et malades qu’il faut les protéger".


 

La moitié du village prend le parti de Jofroi - et le spectateur aussi. Peut-on pour autant parler d’écologie dans ce contexte paysan ? N’est-ce pas anachronique ? Pour Jofroi, les arbres sont des personnes. Une part de lui-même, les enfants qu’il n’a pas eus. À travers sa fureur transparaît un profond sentiment panthéiste propre à cette province méditerranéenne.

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe


Jofroi. Réal, sc : Marcel Pagnol ; ph : Willy Faktorovitch ; mont : Suzanne de Troeye & André Robert ; déc : Jean Bijon. Int : Vincent Scotto, Henri Poupon, Annie Toinon, Charles Blavette, José Tyrand, André Robert, Odette Roger, Édouard Delmont (France, 1933, 42 mn).



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