par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe
Sélection officielle section Génération de la Berlinale 2024
Grand Prix
Sortie le mercredi 31 juillet 2024
Ce film-fleuve emporte le spectateur comme un torrent de boue et de haine rentrée, à la manière de Délivrance de John Boorman (1972), avec lequel il présente quelques analogies. Philippe Lesage a déjà à son actif pas moins de sept longs métrages, dont quatre documentaires. Ses films lui ont assis une réputation de cinéaste autobiographique qui revient souvent sur son enfance, la maladie, la douleur - son premier documentaire, Ce cœur qui bat, a été réalisé en 2012, dans l’hôpital où le réalisateur québécois avait été opéré. Les Démons (2015), décrivait les tourments rencontrés dans son enfance.
Pour ce nouveau film, il ne part plus de sa propre expérience, mais de celle de son frère, invité à passer quelques jours chez un documentariste québécois très célèbre, rencontre qui l’avait à la fois marqué et déçu. Il est vrai que c’est une grande chance de rencontrer un adulte qui vous aide à mettre le pied à l’étrier, "mais parfois, déclare le réalisateur, on sent aussi que ça peut avoir ses limites. Dans le sens où ces modèles adultes peuvent parfois, au moment de vraiment nous aider, nous laisser tomber, nous décevoir et même devenir des rivaux. Il ne peut plus y avoir de transmission si le modèle se retourne contre vous".
Le film commence, et se terminera d’ailleurs, par une séquence inquiétante : on suit une Mercedes de couleur kaki qui avance sur une route bordée de forêts. On devine, par la lunette arrière, trois personnes assises, la musique est inquiétante. On pense tout de suite à Harry, un ami qui vous veut du bien de Dominik Moll (2000), mais aussi à Alfred Hitchcock, aidé par le fond sonore et l’absence de dialogues lorsqu’on entre dans l’habitacle du véhicule et qu’on découvre les trois passagers de face, puis le chauffeur et la présence déroutante d’une cage en métal sur le siège passager. À l’arrière, une jeune fille coincée entre deux jeunes gens. On sent que le jeune homme assis à la gauche de la jeune fille n’est pas indifférent à ce contact. Tout est dans le non-dit et les silences. Belle entrée en matière qui se complète par la rencontre avec l’ami du père et qui va conduire la petite troupe à sa cabane dans les bois par l’intermédiaire d’un hydravion.
Nombre de films québécois se passent à l’intérieur d’une cabane dans les grandes forêts du Nord du pays. Il est certain que l’ambiance créée par le lieu est propice à une solitude qui va accroître les tensions entre les personnages. C’est tout à fait le cas ici. On l’a constaté : Jeff, 17 ans, est secrètement amoureux d’Aliocha. Tous deux admirent le mystérieux Blake, un vieil ami du père de la jeune fille, chez qui ils sont installés avec le frère d’Aliocha, également un ami de Jeff.
Comme le feu qui dévore tout sur son passage, l’ambiance va vite se détériorer en raison de l’attitude dominatrice et humiliante de Blake, le documentariste qui a servi de modèle au réalisateur. Se comportant en fait comme des enfants, les adultes montrent leurs failles aux jeunes gens et, par le biais de l’avant-dernière séquence tragique de canoë, leur vie et leurs illusions vont basculer à jamais, changement explicité par la séquence finale du retour en voiture vers la ville. Ce sont presque les mêmes images qu’à l’ouverture du film, mais tout est changé. "J’espère qu’après, ils vont continuer de vivre et d’aimer sans trop se protéger, portés par leurs passions, sans se résigner à la tiédeur ou à l’amertume", précise toutefois le réalisateur.
Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe
Comme le feu. Réal, sc : Philippe Lesage ; ph : Balthazar Lab ; mont : Mathieu Bouchard-Malo ; mu : Frédéric Cloutier. Int : Arieh Worthalter, Noah Parker, Aurélia Arandi-Longpré, Paul Ahmarani, Irène Jacob, Antoine Marchand-Gagnon (Canada-France, 2024, 155 mn).