par Ginette Gervais-Delmas
Jeune Cinéma n°138, novembre 1981
Sorties les mercredis 30 septembre 1981, 28 juin 2000 et 7 août 2024
Un homme et une femme qui se sont aimés, puis séparés, se retrouvent huit ans plus tard sans l’avoir voulu : mariés l’un et l’autre, ils deviennent voisins, dans un petit village des environs de Grenoble. Malgré eux - ils sont satisfaits de leur mariage -, ils retrouvent un amour qui n’a jamais cessé d’exister.
Mais tous deux sont ainsi faits qu’ils sont incapables de vivre cet amour, pas plus qu’autrefois : ils en exigent trop, c’est un absolu, et les déchirements recommencent. Ils sont prisonniers d’une alternative : impossible de vivre l’un sans l’autre, mais également impossible de vivre ensemble.
On imagine ce qu’un pareil thème eût pu donner il y a cinquante ans : la fatalité, le drame à l’antique, etc., etc... Avec François Truffaut, aucun risque de tomber dans ce genre. Il aborde ce thème avec le même style réaliste qui caractérise ses autres films, le même habituel souci du quotidien ; son sens de la mesure fait ressortir le caractère insensé de cette passion, sa violence destructrice. Il réussit ainsi à nous la rendre proche. Comment se fait-il que nous demeurions si froids ? Peut-être parce que François Truffaut ne pousse pas son style à fond. Il isole ses deux protagonistes, et étudie minutieusement leur comportement.
Il y met toute son intelligence et sa sensibilité, et ce raffinement est admirablement servi par deux grands acteurs : Gérard Depardieu et Fanny Ardant, qui excellent à donner l’illusion du naturel. Mais il ne s’intéresse qu’à ces deux personnages et il laisse volontairement dans l’ombre les deux autres protagonistes qui sont seulement esquissés à grands traits, et de telle sorte qu’ils n’interviennent en rien dans la passion amoureuse de leurs conjoints. On ne voit d’eux que ce qui est absolument nécessaire pour ne pas rendre invraisemblable une telle compréhension de leur part : leur existence surtout sert à démontrer la violence de la passion exclusive qui emporte les deux amants. Aucune pression extérieure ne s’exerce sur eux du fait de la société : ils sont situés socialement, mais par une simple allusion. En sorte que tout l’intérêt du film se concentre sur la description de la passion amoureuse.
Mais cette disparition de tout environnement a quelque chose d’artificiel. Si on pousse à bout cette abstraction de tout élément extérieur, cela devient de la dissection, et la vie s’en retire. Une telle démarche, certes, n’est pas rare dans le cinéma, mais elle choque moins chez d’autres que chez François Truffaut, parce qu’il plonge tellement dans la vie quotidienne, il est si imprégné d’un cinéma du naturel que chez lui cela "jure" plus que chez d’autres, pour parler vulgairement. Le spectateur qui apprécie la haute qualité formelle se sent malgré tout frustré parce qu’il adhère mal au contenu.
Reste une œuvre cousue main.
Ginette Gervais
Jeune Cinéma n°138, novembre 1981
La Femme d’à côté. Réal : François Truffaut ; sc : F.T., Suzanne Schiffmann & Jean Aurel ; ph : William Lubtschansky ; mont : Martine Barraqué ; mu : Georges Delerue ; déc : Jean-Pierre Kohut-Svelko, ; cost : Michèle Cerf. Int : Gérard Depardieu, Fanny Ardant, Henri Garcin, Michèle Baumgartner, Véronique Silver, Philippe Morier-Genoud (France, 1981, 106 mn).