par Gérard Camy
Jeune Cinéma n°154, octobre 1983
Prix du meilleur film étranger aux BAFTA Awards 1984
Sorties les mercredis 10 août 1983 et 7 août 2024
Tournant résolument le dos aux superproductions, François Truffaut réalise avec Vivement dimanche ! un véritable petit chef-d’œuvre. Cinéphile passionné, amoureux fou du cinéma américain, il nous raconte, avec un plaisir évident et la volonté amusée de jouer avec le genre archicodé qu’est le cinéma noir américain des années quarante, une histoire tirée d’un roman de Charles Williams (1), où les morts s’accumulent, les passions éclatent, les jalousies s’exacerbent. Fanny Ardant est la secrétaire d’un agent immobilier qui est successivement accusé du meurtre de l’amant de sa femme, de sa femme et de quelques autres personnages qui se détachent d’une galerie de portraits inquiétants ou savoureux. Elle prend l’enquête en main.
Si l’exercice est parfaitement réussi, il n’en reste pas moins que l’insouciance, la légèreté, le charme, l’humour qui s’en dégage sont typiques de François Truffaut. Merveilleux styliste, admirable conteur, il plonge avec délectation dans les références incessantes. Le noir et blanc, la pluie et la nuit, les carrosseries luisantes, les belles femmes mystérieuses, les détectives privés, la prostitution, le jeu, la musique qui colle à l’action, les ombres à travers les fenêtres sont autant d’ingrédients classiques des films noirs américains d’antan.
Mais il n’hésite pas aussi à citer ses propres films. De Tirez sur le pianiste (forme du récit) au Dernier Métro (Fanny Ardant joue dans une troupe de théâtre amateur), en passant par Les Quatre Cent Coups (le hall du cinéma), Baisers volés (l’agence du détective), ou L’Homme qui aimait les femmes (les jambes de femmes) et même Les Mistons et L’Argent de poche (les enfants qui jouent avec le pare-soleil du photographe). Pourtant, François Truffaut a trop de talent pour tomber dans le piège de l’œuvre uniquement référentielle. Il recrée les plans qui ont fait la gloire des films policiers américains, mais leur agencement, le rythme qui découle de travellings somptueux, de plans de séquences étonnants, de champs-contre champs déroutants, font de cette réalisation une œuvre très personnelle et un délicieux spectacle où la femme tient le rôle principal et les hommes ne sont que des enfants perdus.
La conduite du récit, onctueuse ou morcelée suivant les besoins de l’histoire, est d’une grande intelligence. Usant à bon escient du flash-back (procédé classique du film noir), François Truffaut joue avec les spectateurs. De fausses pistes en nouvelles découvertes, il les laisse se perdre avec les deux héros pour les entraîner dans une séquence finale éblouissante où comique, tragique et tendresse se succèdent pour leur plus grande joie. Les images en noir et blanc de son directeur de la photographie préféré, Nestor Almendros, sont superbes. Les acteurs, au gré de l’action, évoluent dans des décors théâtralisés qu’un jeu subtil d’ombres et de lumières rend inquiétants, ou au contraire se fondent dans des gris vaporeux guère plus rassurants.
Et puis, par-delà une réalisation et une mise en scène impeccables, une maîtrise totale de l’univers cinématographique, il y a tous les comédiens qui, servis par un dialogue pétillant, laissent éclater leur talent. Jean-Louis Trintignant, brillant et drôle, et surtout Fanny Ardant, bouche immense et yeux noirs, pleine d’humour et d’enthousiasme, de vitalité et de fantaisie, qui sait se faire tendre et pathétique. Là encore, en filmant cette belle femme intrépide, François Truffaut fait un clin d’œil aux stars des années cinquante qui, maîtresses femmes, tentaient de prendre leurs destins en main.
Enfin, on ne peut oublier la prestation particulièrement réussie de Philippe Morier-Genoud qui croque avec finesse un commissaire de police cocasse et sympathique.
Ainsi, Vivement dimanche ! est bien une comédie policière de belle facture, mais c’est avant tout un régal des yeux et des oreilles, le triomphe de l’intelligence et de l’esprit.
Gérard Camy
Jeune Cinéma n°154, octobre 1983
1. Charles Williams est l’auteur, notamment, de Fantasia chez les ploucs (The Diamond Bikini) (1956), traduit par Marcel Duhamel en 1957, dans la Série noire (Gallimard).
Vivement dimanche !. Réal : François Truffaut ; sc : F.T., Jean Aurel & Suzanne Schiffman, d’après Long Saturday Night de Charles Williams ; ph : Nestor Almendros ; mont : Martine Barraqué ; mu : Georges Delerue ; déc : Hilton McConnico ; cost : Michèle Cerf. Int : Jean-Louis Trintignant, Fanny Ardant, Jean-Pierre Kalfon, Caroline Silhol, Jean-Louis Richard, Philippe Morier-Genoud (France, 1983, 110 mn).