par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°431-432, septembre-octobre 2024
Sélection officielle en compétition de la Berlinale 2024
Ours d’argent du meilleur scénario
Sortie le mercredi 4 septembre 2024
Intitulé Sterben en allemand (en français "mourir"), le film de Matthias Glasner devient ici La Partition. Prix du meilleur scénario à Berlin cette année, ses trois actes (avec épilogue) développent, autour d’un récit structuré, diverses situations humaines d’une complexité inouïe, une répartition des rôles et des personnages, un rythme narratif et des dialogues, le tout avec une remarquable clarté. Matthias Glasner, réalisateur allemand né à Hambourg en 1965, évoque l’histoire familiale de Tom (Lars Eidinger), chef d’orchestre et metteur en scène de Sterben, la pièce de son ami compositeur (Robert Gwisdek) mélancolique et suicidaire.
Il s’agit d’un drame psychologique empruntant parfois au documentaire par des scènes d’une rare authenticité, notamment face aux maladies : la démence du père, le cancer de la mère (Corinna Harfouch), sans oublier quelques autres incidents décalés, presque fantastiques, voire horrifiques, tel l’arrachage d’une dent par la sœur (Lilith Stangenberg) de Tom. Matthias Glasner nous plonge dans une immersion totale, à la rencontre d’une famille désaccordée et définitivement désunie. Non-dits, secrets familiaux, douleurs psychologiques et frustrations ont plongé les individus dans l’alcool ou les ont égarés vers des amours brisées.
Ce qui tient et retient l’attention pendant trois heures est cette perception incroyable et permanente du présent, de l’ineffable présent qui cloue sur place, tant il est grave, accablant et redouté. Chaque scène est montrée "en train de se faire" et le spectateur la vit en direct comme les quatre personnages. La parole se délie et crève le silence, les mots dits par une mère à son fils adulte, quoique d’une simplicité désarmante, sont cruels et atroces à entendre. Nous assistons en direct à une véritable "déflagration émotionnelle" que porte à jamais le regard de Tom.
À noter son jeu remarquable de distance, de froideur. Le film évoque en outre la difficulté d’être artiste, taraudé par la sempiternelle question de l’existence face à l’art. Le chef d’orchestre aussi bien que le compositeur sont des personnages complexes, au désir hors limites et à l’égo capricieux. La scène du concert gâché par l’irruption intempestive de la sœur de Tom est un des points culminants de ce dégoût d’être ensemble, encore renouvelé plus tard, face à la mort des parents.
Le cinéma allemand aime ce genre de films, une lente observation du creuset familial où contradictions et malentendus se mêlent jusqu’au drame, tels ceux de Hans-Christian Schmid, dans la même veine réaliste dramatique. Sterben était le bon titre pour un film où se meurent les illusions, les espoirs et les amis comme se meurt avant tout la possibilité d’en parler.
Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°431-432, septembre-octobre 2024
La Partition (Sterben). Réal, sc : Matthias Glasner ; ph : Jakub Bejnarowicz ; mont : Heike Gnida ; mu : Lorenz Dangel. Int : Lars Eidinger, Corinna Harfouch, Lilith Stangenberg, Ronald Zehrfeld (Allemagne, 2024, 180 mn).