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Anaïs, 2 chapitres (2024)
de Marion Gervais
publié le mercredi 11 septembre 2024

par Francis Guermann
Jeune Cinéma n°431-432, octobre 2024

Sélection du festival Cinema for Change 2024
Grand Prix

Sortie le mercredi 11 septembre 2024


 


Anaïs est une jeune herboricultrice bretonne qui a monté seule sa petite exploitation agricole en 2012, à l’âge de 22 ans, avec obstination et malgré le peu de soutiens de son voisinage et des institutions. Anaïs possède un fort caractère qui lui fait rejeter tout compromis : elle vit dans sa caravane sans eau ni électricité, mais elle se sent libre, non redevable, et vend directement ses produits (plantes fraîches, tisanes). Une marginale ? Pas vraiment car elle se bat pour imposer ses choix et travaille sans relâche à son projet. Son franc-parler, sa vitalité et son esprit de révolte ont attiré la réalisatrice Marion Gervais qui l’a rencontrée dès son installation et a réalisé un premier documentaire en 2013, Anaïs s’en va-t-en guerre. Ce film reçut un bon accueil et une bouche à oreille très positive permit à Anaïs d’acquérir une petite ferme avec des terres trois ans plus tard, grâce à une campagne de financement participatif.


 


 


 

La rencontre de la caméra discrète et amicale de la réalisatrice avec cette jeune femme touchante et séduisante a fait l’objet d’un second film dix ans plus tard, en 2023, Anaïs s’en va aimer. La jeune femme a mûri, son exploitation tient le coup malgré les difficultés toujours présentes et surtout ce second volet fait découvrir un nouveau combat d’Anaïs : celui de son couple avec Seydou. Ils se sont rencontrés puis mariés au Sénégal, pays de Seydou, en 2021. entre dans des démarches administratives longues et difficiles pour le faire venir en France puis obtenir un titre de séjour au motif de leur vie familiale. La naissance de leur fille Anouk et l’obtention de ce titre peuvent enfin leur permettre de croire en un avenir commun.


 


 

Anaïs, 2 chapitres est la réunion en diptyque de ces deux films en un seul long métrage documentaire. Ce qui fonctionne parfaitement est la continuité du regard de la réalisatrice sur Anaïs, qui permet de se détacher d’un simple sujet ou objet de film documentaire en proposant un regard fusionnant et amical, pudique et respectueux du rythme de sa vie. Cette relation met en valeur le caractère de la jeune femme qui est restée, selon la réalisatrice, "droite, entière, simple et solaire". En saisissant des moments de vie par immersion, par touches légères, Marion Gervais réussit son film.


 


 

Ce qui fonctionne un peu moins, c’est le saut temporel entre les deux chapitres. On assiste à la réunion de deux films différents et cela se sent. L’attente du spectateur est, dans un premier temps, un peu déçue car elle est d’abord tournée vers le désir de connaître en détail le résultat de la lutte initiale d’Anaïs, comment elle s’en est sortie avec son exploitation, comment elle s’est imposée dans un milieu d’hommes, quels débouchés elle a pu trouver pour ses produits.


 


 

Passé ce premier moment, on entre dans le second chapitre avec intérêt. S’il n’a pas la force du premier, porté par la surprise et de la découverte de cette jeune femme atypique, il est marqué par les profondes convictions d’Anaïs, qui se dévoile autrement que dans une lutte solitaire : plus réfléchie, ouverte au doute mais tout aussi révoltée par les freins administratifs et la xénophobie sous-jacente.


 


 

Le film se referme sur cette impression que rien n’est encore gagné, ni la pérennité de l’entreprise d’Anaïs, ni l’attachement du couple, ni ses sentiments, ni la situation de Seydou qui reste précaire. D’autres luttes sont à venir pour Anaïs, son couple et leur enfant. La vertu du cinéma documentaire est d’interroger, à travers les individus, le fait social, à un moment donné. Ce film pose ainsi un regard sur une génération qui n’est pas vraiment aidée dans notre société, tournée vers le consumérisme et le repli sur soi, surtout pour les personnes qui ne sont pas dans ce moule et prennent le risque de choisir une autre voie. Mais c’est aussi le constat enthousiasmant que rien n’est impossible à qui mène sa vie avec combativité et dans l’usage de sa liberté.

Francis Guermann
Jeune Cinéma n°431-432, octobre 2024


Anaïs, 2 chapitre. Réal, ph, son : Marion Gervais ; mont : Solveig Risacher & Ronan Sinquin ; mu : Michael Wookey & Benjamin Sportes (France, 2024, 104 mn). Documentaire



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