Ma vie ma gueule, un titre audacieux voilé d’impertinence, d’humour, d’insolence, un beau titre. Contrairement à l’habitude, voir et commenter un film qui s’avère être, non pas le premier mais le dernier film de quelqu’un et se dire qu’il n’y aura plus jamais de film de Sophie Fillières, c’est accepter de le voir avec une acuité particulière. Sachant en outre, qu’il fut achevé par les enfants de la réalisatrice, Agathe & Adam Bonitzer, multiplie plus encore l’attention, relativise l’image et le son, lui donne un sens dans le temps, un souffle ultime, un message définitif, un souhait pour l’éternité.

En trois parties : pif, paf et youkou ! Une femme, Barberie Bichette, incarnée par la merveilleuse Agnès Jaoui, s’interroge, se regarde, se sent très mal dans sa vie au point de voir la mort incarnée dans les yeux d’un ancien amoureux. Devant sa mort annoncée, Sophie Fillières choisi de travailler d’arrache-pied, courageusement et sans relâche à son œuvre, la complétant par un septième long métrage, qui, tragiquement, retrace les signes les plus aigus de sa poésie, de sa sensibilité et de sa violence, face à la perception du monde. Ce chemin désenchanté et encore enchanteur à parcourir en compagnie de Agnès Jaoui, brille par sa présence chaleureuse et le silence qu’elle installe toujours après ses paroles. Comme si tout en réfléchissant elle questionnait un au-delà lointain et en attendait une réponse.

Cet art de l’éloquence qui lui était propre, est admirable. Car il correspond avec talent à la suspension du temps que la réalisatrice a inscrite dans son film par fragments, brisures et éclats de vie. Éclats de vie dans une fin inattendue, insolite et heureuse, au cœur d’un vaste paysage de la campagne anglaise ou l’attend Philippe Katerine, jouant de la guitare. Ma vie ma gueule, c’est un peu le portrait de Sophie Fillières, celui d’une femme anonyme, celui de nombreuses femmes, celui de toutes les femmes.

Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°429, été 2024

Ma vie ma gueule. Réal, sc : Sophie Fillières ; ph : Emmanuelle Collinot ; mont : François Quiquéré ; mu : Philippe Katerine. Int : Agnès Jaoui, Angélina Woreth, Édouard Sulpice, Philippe Katerine, Valérie Donzelli, Laurent Capelluto, Emmanuel Salinger (France, 2024, 99 mn).