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Veni Vidi Vici (2023)
de Daniel Hoesl & Julia Niemann
publié le mercredi 18 septembre 2024

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°431-432, octobre 2024

Sélection officielle du Festival de Sundance 2024

Sortie le mercredi 18 septembre 2024


 


Le film des Autrichiens Daniel Hoesl & Julia Niemann s’ouvre sur une détonation. Parvenu avec difficulté en haut d’une côte, un cycliste est blessé au bras par un tireur qui n’apparaît pas en contrechamp. Après un second tir, il est achevé et roule sur le bas-côté. Débouchent sur la route deux individus : Amon Maynard, multimillionnaire qui répugne, apprendra-t-on par la suite, à faire du mal aux animaux, et Alfred, son factotum, un ancien journaliste. Maynard lui confie le vélo : "Il faut bien, dit-il, recycler". D’autres scènes du même acabit prendront le spectateur par surprise et ponctueront le récit.


 


 

Pourtant Veni Vidi Vici n’est pas comparable au classique du film d’horreur, Les Chasses du comte Zaroff de Ernest B. Schoedsack & Irving Pichel. (1932). Daniel Hoesl & Julia Niemann ne situent pas l’action dans un lieu loin de toute civilisation ; il ne s’agit pas ici d’une chasse à l’homme ; le jeu auquel se livre le protagoniste n’a rien d’une partie d’échecs. Maynard ne choisit pas ses proies, il abat les hommes qu’il rencontre au hasard de ses promenades. Sans mobile apparent, sans raison.


 


 

Nous sommes loin du film noir bien que nous ayons affaire à un tueur en série. Il y a quelque chose d’une Autriche de carte postale façon Sissi (1957) dans Veni Vidi Vici. Il y fait toujours beau et les paysages sont splendides. Maynard, son épouse Viktoria, leurs trois enfants, Paula, une adolescente de 13 ans, Coco et Bella, deux jeunes métisses adoptées par le couple, cohabitent dans un château entouré d’un parc. Leur vie semble idyllique. Amon Maynard est particulièrement attaché à son rôle de jeune patriarche. Il souhaiterait que la famille s’agrandisse. Mais son épouse étant nettement plus âgée que lui, le duo a du mal à arriver à ses fins.


 


 

Pour ce qui est du passe-temps favori du distingué notable, qui consiste à dégommer au fusil à lunette ce qui passe à sa portée, il s’avère que tout le village est au courant. Le garde-champêtre et d’autres témoins l’ont signalé en vain à la police. Un journaliste a réuni un dossier sur ce sujet. Maynard jouit d’une impunité totale en raison de son immense fortune ainsi que de son rôle dans les rouages de l’État.


 


 

Daniel Hoesl a qualifié son film de politique et reconnu l’influence de Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon de Elio Petri (1970). À cet égard, son anti-héros peut faire penser à des représentants du capitalisme sans foi ni loi, tels que Donald Trump, Jeff Bezos, Elon Musk, etc. L’épigraphe du film, "Qui va m’arrêter ?" (1), et l’intérêt porté depuis plusieurs années par les auteurs de Win Win (2016) (2) et Davos (2021) à la question des flux financiers font pencher pour cette hypothèse.


 


 

Les qualités du film ne viennent pas seulement des thèmes, mais d’un style fondé sur le contraste, l’excès, l’ironie, l’humour noir qui coïncide avec le centième anniversaire du Surréalisme. La phrase du Second Manifeste semble être le point de départ du film : ’L’acte surréaliste le plus simple consiste, revolvers aux poings, à descendre dans la rue et à tirer au hasard, tant qu’on peut, dans la foule". Ce en quoi Veni Vidi Vici peut faire penser à un des épisodes du Fantôme de la liberté de Luis Buñuel (1974). Le film est à dormir debout avec des aspects de satire grotesque et de farce macabre annonçant un cycle sans fin quand la jeune Paula prend le relais de son père.

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°431-432, octobre 2024

1. Le cinéaste dit avoir cité la romancière américaine Ayn Rand qui écrit dans The Fountainhead (1943) : "La question est de savoir qui m’arrêtera".

2. WinWin de Daniel Hoesl (2016).
Ne pas confondre avec "Win/Win" de Jaap van Heusden (2010) ; Les Winners (Win Win) de Tom McCarthy (2011) ; Win Win de Claudio Tonetti (2013) ; Win Win de Friedrich Rackwitz (2022).


Veni Vidi Vici. Réal : Daniel Hoesl & Julia Niemann ; sc : Daniel Hoesl ; ph : Gerald Kerkletz ; mont : Gerhard Daurer ; cost : Marcus Karkhof. Int : Nahoko Fort-Nishigami, Zoe Straub, Vitus Wieser, Laurence Rupp, Ursina Lardi, Markus Schleinzer (Autriche, 2023, 86 mn).



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