Pitfall (qu’on pourrait traduire par "piège’) ou, selon le titre français, La Sanglante Aventure, est un film hollywoodien du réalisateur d’origine austro-hongroise André De Toth, sorti en 1948. Les acteurs principaux en sont Dick Powell, qui interprète John Forbes, agent d’assurances, et Lizabeth Scott, qui incarne la fort jolie Mona Stevens.

Tout commence avec un gros plan d’œufs sur le plat, frits "sunny side up", que Mrs. Forbes prépare pour son époux. Le fiston demande à son père ce qu’il a fait pendant la guerre. "J’ai obéi aux ordres" ("I did as I was told"), lui répond-il. L’enfant objecte que le géniteur d’un de ses copains de classe a été décoré. À la suite de quoi, Mrs. conduit Mr. à son bureau. On sent que John n’est pas totalement satisfait de son existence. Il dit regretter l’époque où il projetait de grands voyages avec celle qui n’était pas encore sa femme. Forbes joue les grands patrons devant sa secrétaire, qui mâchonne du bubble-gum et grommelle parce qu’il ne ferme pas la porte derrière lui.

La surprise vient lorsqu’un certain Mc Donald, un molosse pas vraiment rassurant, chargé de surveiller les malversations au sein de la compagnie (Raymond Burr), lui fait part d’un problème à résoudre toutes affaires cessantes. Un des clients de la société, Smiley, ayant détourné une somme rondelette pour couvrir une femme de cadeaux, a été incarcéré et il conviendrait que John récupère lesdits présents. Mais, le prévient-il, gare à lui s’il s’approche trop de la jolie blonde prénommée Mona car lui-même a des vues sur elle.

Forbes se met en route. Comme il se doit, la demoiselle le reçoit en short, ni surprise, ni embarrassée. Un brin impertinente, elle l’apostrophe ainsi : "Tu es un petit mec avec ton attaché-case. Tu vas au boulot chaque matin et tu fais ce qu’on te dit de faire". Elle le ramène à sa triste réalité, mais restitue néanmoins sans barguigner un manteau de léopard, un diamant ("Il n’est pas très beau, mais c’est ma bague de fiançailles !"), une automobile et quelques autres babioles. Ce qu’elle ne veut absolument pas rendre, c’est le hors-bord auquel elle tient le plus au monde et sur lequel elle emmène Forbes faire un tour. Celui-ci, conquis, en oublie son dîner chez lui.

Les choses se gâtent lorsque McDonald, qui épie son monde, administre une raclée bien méritée à Forbes. Au point que celui-ci doit garder le lit une semaine durant. Mona, qui s’apprête à lui apporter des oranges, découvre qu’il est marié et père de famille. Elle rend alors visite à Smiley, son ancien amoureux, interné pour les raisons que nous savons. La scène est extraordinaire : aucune des étapes de la bureaucratie ne nous est épargnée et la suite des formalités pour accéder au parloir est restituée aussi bien acoustiquement que visuellement. La séquence finale est traitée avec une semblable virtuosité. Smiley, une fois libéré, et McDonald tendent un guet-apens pour se débarrasser de leur concurrent en matière sentimentale. L’un des deux brise une vitre du domicile de Forbes et celui-ci, en bon Américain, fait usage de son arme, blessant mortellement Smiley. Il déclarera à la police qu’il pensait tirer sur un rôdeur. McDonald pensant avoir gagné la partie, se rend chez Mona. Il écoute avec celle-ci la radio de la police qui diffuse l’annonce du meurtre. Mona comprend la situation et réagit en conséquence…

L’intérêt de ce film noir réside dans sa description du quotidien d’une ville moyenne d’après-guerre et du passage de la banalité à la tragédie. L’Amérique gagnée par l’ennui et le conformisme ressemble à une vaste et triste banlieue où seuls les malfrats sont encore flamboyants.

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°431-432, octobre 2024

La Sanglante Aventure (Pitfall) aka Le Piège. Réal : André De Toth ; sc : Karl Kamb d’après Jay Dratler ; ph : Harry J. Wild ; mont : Walter Thompson ; mu : Louis Forbes ; déc : Robert Priestley ; mu : Louis Forbes. Int : Dick Powell, Lizabeth Scott, Jane Wyatt, Raymond Burr, John Litel, Jimmy Hunt, Ann Doran, Selmer Jackson (USA, 1948, 86 mn).