par Heike Hurst
Jeune Cinéma n°289, mai 2004
Sélection officielle en compétition du FID de Marseille 2003
Sortie le mercredi 28 septembre 2003
Chantal Akerman fait, dans Avec Sonia Wieder-Atherton, un travail radical et novateur sur la musique. Car comment filmer la musique ? L’oreille voit, certes. Mais pour qu’elle voie, il faut encore lui donner de la matière. Tout le monde a déjà éprouvé cette grande insatisfaction propre à la diffusion de musiques filmées : en général l’orchestre est filmé frontalement, les solistes se tiennent à leur place et tout le monde a le regard tourné vers la baguette du chef d’orchestre. "Regarder la musique à la télé, ça empêche d’entendre, ça donne du spectacle en dehors de la musique !" dit carrément Chantal Akerman. On espère donc que tout le monde pourra découvrir (ou aura découvert avec la diffusion du film sur Arte) la différence.
Son film, consacré à la violoncelliste et interprète hors pair qu’est Sonia Wieder-Atherton, se construit autour d’un dispositif de panneaux et de caches que la caméra anime par ses mouvements. Chaque cadrage participe à la mise en scène de la beauté pure qui jaillit d’un mouvement d’archet, d’un léger frémissement du coude ou d’un imperceptible pincement de cordes qui relance la multiple splendeur.
Le dispositif est très strict, isole parfois la soliste, prend le temps de la regarder ou se concentre sur un trio d’interprètes, ou se penche sur l’instrument pour saisir la communication muette, mais intense avec les autres. "Un pilier au milieu de nous deux, ça nous mettait encore plus ensemble", dit Sonia Wieder-Atherton, qui expliqua à Chantal Akerman la respiration d’un morceau de Johannes Brahms, l’effort physique "presque intime" qu’il exige de ses interprètes. L’austérité apparente de l’installation des panneaux sert des musiques sublimes, l’espace scénique est parcouru par une caméra vibrante qui permet finalement d’entendre la musique autrement et établit ainsi une nouvelle qualité d’écoute.
Prenez les toiles de la Renaissance italienne, vous voyez les chérubins suspendus aux plafonds qui vous tendent des fleurs, qui ébauchent un air de flûte. Cette félicité peinte prend vie sous nos yeux, les anges descendent pour nous tendre leur butin musical et nous parlent. Le film de Chantal Akerman nous fait ressentir tout cela. Elle fait entendre l’essence de la musique, donc l’essentiel.
Heike Hurst
Jeune Cinéma n°289, mai 2004
Avec Sonia Wieder-Atherton. Réal, sc : Chantal Akerman ; ph : Sabine Lancelin ; mont : Claire Atherton. Avec Sonia Wieder-Atherton, Imogen Cooper, Alexie Coussemans, Pierre Feyler, Sarah Lancu, Matthieu Lejeune, Françoise Rivalland, Quatuor Parisi (France, 2003, 52 mn). Documentaire.