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Un amor (2023)
de Isabel Coixet
publié le mercredi 9 octobre 2024

par Francis Guermann
Jeune Cinéma n°431-432, octobre 2024

Sélection officielle du Festival international de San Sebastián 2023
Prix à Hovik Keuchkerian

Sortie le mercredi 9 octobre 2024


 


Adapté du roman éponyme de Sara Mesa, l’une des écrivaines les plus en vue de la littérature espagnole actuelle, Un amor trace un moment de la vie de Natalia, une jeune femme seule qui quitte la ville pour s’installer, en plein hiver, dans une région montagneuse et y exercer, à distance, son métier de traductrice. Pour cela, elle loue une petite maison délabrée à l’orée d’un village et partage son temps entre son travail à l’ordinateur, la découverte de son voisinage, les promenades de Crapule, le vieux chien plein de cicatrices que son propriétaire lui a confié et son projet de réaliser un potager.


 


 

Cette situation post-covid, qu’on pourrait croire idyllique, pas mal de personnes la pratiquent aujourd’hui grâce au télétravail, qui permet de s’éloigner des villes sans vraiment changer de mode de vie. Mais on sent, chez la jeune femme, une fêlure, un déséquilibre qui la rendent vulnérable. Son métier de traductrice au service d’une ONG, qui recueille des témoignages terribles de femmes africaines réfugiées et victimes de violences, est lourd à vivre et ne lui rapporte que des revenus modestes. La vie de Natalia entre dans cette dissonance, entre la réalité de son travail qui se poursuit et son inscription dans un autre contexte qui va se révéler aussi difficile, celui de la vie de la communauté dans laquelle elle s’inscrit malgré elle, dans ce village de montagne. Pas de clichés sur les différences entre citadins et ruraux : les personnes qu’elle rencontre sont sur le même plan qu’elle. Mais elles appartiennent à un autre milieu, presque un biotype construit sur les relations de voisinage d’un groupe qui s’épie sous des dehors civilisés.


 


 

Natalia apparaît tantôt comme une proie (son propriétaire refuse d’engager des travaux alors que sa maison prend l’eau et la considère de façon ambiguë), tantôt comme une intruse ne respectant pas des règles de vie implicites. Sous des dehors amicaux (son voisin vitrailliste, prototype du "mec sympa", un couple avec deux enfants-rois dans leur belle maison) transpirent la méfiance et l’hypocrisie.


 


 

Elle rencontre Andréas, surnommé l’Allemand, un homme solitaire et fruste, qui rend des services dans le village et vend la production de son potager. Il propose abruptement à Natalia de réparer sa toiture en échange d’une faveur sexuelle. Cette proposition indécente et directe, elle finira par l’accepter. Les deux ont en commun leur solitude choisie et leur position d’outsider. D’une liaison passagère entre deux êtres que tout semble séparer, entre la Belle et la Bête, la fluette Natalia et le gros ours Andréas, cela glisse vers une passion envers un homme qui ne lui donne rien en retour et que la jeune femme peine à maîtriser. Cette relation va vite provoquer des réactions en chaîne dans le voisinage et révéler aux yeux de Natalia les véritables sentiments qu’elle inspire à ses voisins, d’autant plus que Crapule finit par agresser l’un des enfants du couple voisin et lui est enlevé de force par la police.


 


 

Peu d’action dans ce film, mais de subtils croquis psychologiques des personnages et la peinture d’un monde à travers ses détails, tant visuels qu’auditifs : la montagne autour d’eux, les bruits de la maison, son délabrement, ses moisissures, les réactions du chien, tout ce qui crée, comme le déclare la réalisatrice, "une inquiétante sensation de calme sous laquelle palpite un océan de suspicion, de méfiance, d’infamie". Natalia n’est pas une victime, elle s’expose, mais c’est une femme plus forte qu’il n’y paraît. Elle choisit son parti et, sous ses fêlures, garde son destin en main. Elle est aussi, selon la réalisatrice, son alter ego ("Mon ADN est dans chaque plan de ce film").


 


 

Isabel Coixet signe ici un retour à ses origines, après une série de films plutôt internationaux tournés en langue anglaise. Un amor est sans doute son film le plus intime, qui ausculte les rapports humains d’un point de vue féminin. Sa caméra est au plus près des personnages, sans jugement, objectivement, et nous fait partager des montagnes russes émotionnelles. En cela, l’adaptation du roman de Sara Mesa est exemplaire, fidèle au texte de la romancière tout en étant pleinement personnel pour la réalisatrice. Et ses acteurs principaux, Laia Costa et Hovik Keuchkerian, sont étonnants et simplement formidables.

Francis Guermann
Jeune Cinéma n°431-432, octobre 2024


Un amor. Réal : Isabel Coixet ; sc : I.C. & Laura Ferrero ; ph : Bet Rourich ; mont : Jordi Azategui. Int : Laia Costa, Hovik Keuchkerian, Luis Bermejo, Hugo Silva, Ingrid Garcia Jonsson, Francesco Carril (Espagne, 2023, 128 mn).



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