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Niki (2024)
de Céline Sallette
publié le mercredi 9 octobre 2024

par Lucien Logette
Jeune Cinéma n°430, été 2024

Sélection officielle Un certain regard du Festival de Cannes, 2024

Sortie le mercredi 9 octobre 2024


 


Le principe semble, à l’origine, assez étonnant : faire le biopic d’une artiste sans montrer sa production. Mais on a su depuis que les ayants droit de la plasticienne n’avaient pas autorisé Céline Sallette à utiliser les œuvres, Nanas et autres Golem, qui constituent l’essentiel de sa postérité. Par conséquent, il manque maints épisodes à la biographie, comme si un film sur Charlie Chaplin s’achevait avec son entrée à la Mutual en 1916.


 


 

Reste le portrait de l’artiste en jeune femme, avant son éclosion.
Niki, qui n’était encore que l’épouse de Harry Matthews - le nom de Saint-Phalle n’apparaîtra qu’à la fin -, est ainsi décrite à travers sa vie quotidienne, son côté housewife, ses enfants, son mari, ses angoisses et son internement - en définitive, un personnage normal qui ne prend vie que lorsqu’elle découvre, à l’asile, la couleur.


 


 


 

L’authenticité de son trajet est parfaite et il est dommage que le film s’arrête en 1961, au moment où elle inaugure sa série des Tirs (2), c’est-à-dire le début de sa reconnaissance publique.


 


 

Le background est encore incertain : Harry Matthews écrit à peine - l’Oulipo (3) n’est pas encore fondé -, Jean Tinguely ne fait que trimballer de la ferraille dans sa brouette, et les autres - Arman, Martial Raysse, François Dufrêne, etc. - ne sont que des comparses. Et le discours sur la figuration narrative est assez maladroit.


 


 

Céline Sallette a voulu insister sur la féminitude, le rejet des structures familiales pour un accomplissement personnel, en accord avec l’air du temps (le nôtre). Peut-être aurait-il fallu que cela soit un peu plus flamboyant, que l’on sente plus fortement cette rébellion.


 


 

Charlotte Le Bon fait ce qu’elle peut, et elle le fait bien. Mais Damien Bonnard-Tinguely, après avoir été un bon Gérard Garouste dans Les Intranquilles de Joahchim Lafosse (2021) semble ne pas vraiment croire en son génie. La reconstitution est respectueuse et s’efforce de faire vrai de façon assez touchante, costumes et accessoires vintage. Mais on perçoit que la réalisatrice n’a connu l’époque que sur documents, ainsi l’erreur d’évoquer, en 1958, Georges Perec qui n’avait pas encore publié une seule ligne.


 


 

Les œuvres fameuses de Niki aperçues dans le générique final sont un régal, mais accentuent le décalage : le lien est lâche entre les brouillons des années 50 et ce qu’elle a créé après 1961. C’est sans doute cet aspect, le passage d’un statut à l’autre, qu’il aurait fallu creuser, avec la bénédiction des héritiers. Mais le film est mémorable et plaisant par son honnêteté sans frime, et son désir de célébrer les années d’apprentissage d’une plasticienne d’une telle envergure.

Lucien Logette
Jeune Cinéma n°430, été 2024

1. Niki de Saint Phalle (1930-2002) a été mariée très jeune à Harry Mathews (1930-2017). Elle épousa ensuite Jean Tinguely (1925-1991) en 1971.

2. Les Tirs sont des performances durant lesquelles l’artiste tire à la carabine sur des poches de peinture, éclaboussant de couleurs des tableaux-assemblages. Ils la rendront célèbre au niveau international à partir de 1961.

3. L’Ouvroir de littérature potentielle (Oulipo) a été fondé en 1960 par François Le Lionnais (1901-1984) et Raymond Queneau (1903-1976). On y entre par cooptation. Georges Perec (1936-1982) y est entré en 1967 et Harry Mathews (1930-2017) en 1973.


Niki. Réal : Céline Sallette ; sc : C.S. & Samuel Doux ; ph : Victor Seguin ; mont : Clémence Diard ; mu : Para One ; déc : Rozenn Le Gloahec ; cost : Marion Moulès, Matthieu Camblor. Int : Charlotte Le Bon, John Robinson, Damien Bonnard, Judith Chemla, Alain Framager (France, 2024, 98 mn).



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