home > Festivals > Berlin (né en 1951) > Berlin 2003 I
Berlin 2003 I
La compétition officielle
publié le mercredi 15 avril 2015

Berlin 2003, 6-16 février 2003, 53e édition

Jury

Palmarès

par Andrée Tournès
Jeune Cinéma n° 281 & 282, avril 2003

Le 53ème Festspiel de Berlin portait le beau titre de "Vers la tolérance".

Rétrospectivement, au soir des cérémonies finales, il apparaît marqué par une absolue cohérence. En témoignent les grands prix attribués à In This World de Michael Winterbottom - et l’odyssée de ses deux Pakistanais vers le paradis anglais - et à Patrice Chéreau pour Son frère.

Ces deux films s’inscrivent dans les deux thèmes récurrents et obsessionnels du programme, et qui s’entrelacent le plus souvent, la mort, et ses jours comptés, dégradants, regardée en face, souvent plus dignement affrontée par le mourant que par ses proches, ainsi que les bouleversements sanglants du monde social contemporain, où les convictions changent comme les demeures, le statut social et l’identité s’effritent et où chacun tente de survivre.

L’île heureuse du cinéma correspondait aussi aux manifestations du monde extérieur.

Les stars et les auteurs américains prenaient position, dans les conférences de presse, contre la politique de leur gouvernement. L’actrice espagnole du film de Gabriele Salvatores appela à manifester le 15 février 2003 contre la guerre, et, pour libérer public, critiques et invités, la compétition fut suspendue.

Inversement, parmi les 500 000 protestataires, en petits groupes de familles et d’amis, toutes couleurs, toutes nationalités, tous âges, tous statuts sociaux confondus, beaucoup, le soir, avec leur petit carton, ou leur petit drapeau, ou leur maquillage coloré, étaient au Palais à voir du cinéma.

Fait exceptionnel, sans doute dû à la collaboration toute neuve entre les deux directeurs, celui du Festival et celui du Forum, la compétition était remarquable, et le caractère des sections plus accentué.
En compétition se sont retrouvés des vétérans et des débutants, la fiction côtoyait le cinéma-vérité, et, enfin, on pouvait voir, sortis du ghetto de la Deutsche Reihe, une grande quantité de très bons films allemands.

En compétition aussi, beaucoup de films de genre, films historiques, biopics, comédies musicales et duels au sabre...
Les films anglo-saxons, épaulés par des grands acteurs et actrices, de structures narratives classiques, ont surpris et touché, car souvent leurs auteurs ont abordé des thèmes neufs pour eux, et, en cela, fragilisé les règles de ces genres.

In This World de Michael Winterbottom (2002)

Le film retrace le voyage que Jamal et Eyanat, Afghans réfugiés au Pakistan entreprennent - en bus, en camion, à pied, enfermés dans une soute de ferry, en train - pour mieux vivre ailleurs. Leur but, Londres et ses mirages.
Même si le voyage est terrifiant et si l’aîné périt dans la soute, les deux sont gais, blagueurs, curieux des nouveautés. Leur identité s’effrite en route, le chandail et la langue parsi remplacent les beaux vêtements afghans et la langue patchoune.
La Turquie, après l’horrible traversée dans la neige de la frontière, c’est déjà un Occident où l’on travaille à la chaîne. Trieste, pour le plus jeune, est un terrain sans danger pour mendier et vendre ses babioles.

La fiction repose sur une enquête recueillie à Sangate parmi les réfugiés afghans.
Les deux acteurs jouent des situations réellement vécues et le fait de n’avoir jamais dépassé le Pakistan donne à leur réaction beaucoup de fraîcheur.
Winterbottom voulait montrer l’énergie, le courage de ces gens qu’on repousse, et faire voir et sentir l’horreur la fatigue, le risque mortel vécu étapes par étapes de ces héros modernes. Magnifique et revigorant.

Io non ho paura de Gabriele Salvatores (2003)

Le seul film italien en compétition a été acclamé par le public et oublié par la critique.
Gabriele Salvatores a un parcours en dents de scie, qui expérimente des genres différents mais à risques : Nirvana, une science-fiction réussie, Amnesia, un film à sketches situés tous un peu arbitrairement dans un bar à Ibiza…
Cette fois, il adapte le best seller d’Ammanati Non ho paura : une surprise pour qui aurait attendu une adaptation d’un auteur postmoderne du courant cannibale.

Le film, à l’image du livre, est une œuvre dépouillée qui raconte le parcours d’un enfant courageux perdu dans un monde paysan (les plaines à blé des Pouilles) et qui voit changer son rapport à la nature, à sa famille, à ses camarades.
Un monde apparemment solaire et lumineux, mais où les blés cachent des insectes et des serpents, les roches des creux terrifiants, où un ami se révèle un traître et sa famille, criminelle.
Le choix de Salvatores, suivant celui de l’écrivain, est de filmer à hauteur du regard enfantin et de raconter de manière linéaire.
Ce n’est qu’à mi-parcours que le spectateur interprète ce que l’enfant entend mais ne comprend pas, que la créature enchaînée dans la grotte est un enfant kidnappé et que la famille est complice.
L’intelligence et la richesse du récit tiennent à ce que l’enfant interprète ce qui l’inquiète - un bras qui disparaît, un être difforme qui se dit mort, un enfant enchaîné – à l’aide de sa culture mi-religieuse, mi-empruntée aux bandes dessinées ou à la télé. La forme étrange serait un loup-garou, le mort ressuscité Lazare, mais puant et sale, l’enfant enchaîné un jumeau caché comme le masque de fer.
Le dénouement consacre la loi du courage, le code d’honneur de l’enfant vaut pour les jeux dangereux qu’imposent les vainqueurs aux vaincus, pour les secrets à garder coûte que coûte, mais lorsqu’il comprend qu’on va tuer son protégé, il n’y a qu’une seule voie, risquer la mort à sa place.
Chez les parents qui avaient prêté leur chance à des maffieux pour améliorer un peu l’ordinaire de la famille, et s’offrir un voyage fabuleux au bord de mer, le sens de la famille se renverse quand c’est l’un d’eux qui est menacé. Rien de symbolique ni d’abstrait dans le choix des détails ni dans le déroulement de l’action, mais une belle fable didactique, l’enfant de Salvatorès est un enfant qui dit non.

Adaptation de Spike Jonze (2002)

Adaptation s’ouvre sur une séquence documentaire filmée sur le plateau de Being John Malkovich, précédent film de Mike Jonze. On y discute ferme et l’acteur s’impose en capitaine à bord. Le plan suivant montre le scénariste du film, frustré d’être mis à l’écart d’une réalisation qui valait surtout par l’invention scénaristique. Et ainsi nous est donnée la règle du jeu.

Le film a pour sujet la transposition d’un roman en scénario de cinéma. Toute est emprunté au réel. Le personnage du scénariste est le Charlie Kaufman auteur de Being John Malkovich, le roman à adapter est l’analyse d’une relation vécue entre la romancière Susan Orlean et John Laroche, un obsédé d’une orchidées - mais pas n’importe laquelle -, celle qui fleurit blanche dans les marécages des Everglades et s’adapte à l’environnement comme les caméléons. Réel aussi, l’élément qui ouvre le suspense : la proposition du producteurs hollywoodien d’adapter le roman.
L’incapacité de Charlie Kaufman à adapter un livre sans action, au rythme lent comme celui d’une floraison et qui exprime un sentiment insondable, est à la fois ce qui précède le tournage et ce que ce tournage nous montre. Ce qu’on saisit d’emblée, c’est que ce film nous plonge dans un grand carnaval où tous les effets du cinéma hollywoodien sont convoqués et chauffés à blanc.
Le Charlie Kaufman de la fiction est affligé d’un frère jumeau, un Donald Kaufman crétin, qui après avoir suivi cinq jours de cours de scénario, concocte encore plus vite une histoire de serial killer à plusieurs visages ; tous deux joués par Nicolas Cage, dont le moins qu’on puisse dire est qu’il n’a guère le physique ni de Charlie ni de Donald.

Being John Malkovich lassait finalement après un brillant lancer d’inventions bizarres, parce qu’il jouait sur la multiplication, un puis deux, puis quatre puis toute une foule de John Malkovitch identiques.
Adaptation confronte des images de trains fantômes emportés dans un tourbillon kaléidoscopique - ce que Charlie imagine d’après les idées de Donald et qu’il recrache immédiatement, écœuré.
Par soubresauts, apparaissent de très belles images de demeures qui disent tout sur les obsessions des personnages. On se sent devant un tireur de cartes jusqu’au finale où le serpent se mort la queue, mais une queue qui ressemble à une tête.

Solaris de Steven Soderberg (2002)

Le film est caractérisé par ce qu’il n’est pas. Pas un remake du film de Tarkovski, pas un space opera, pas un film d’effets spéciaux.
Le sujet est réduit à l’essentiel, l’amour plus fort que la mort, le souvenir plus fort que le temps, la seconde chance donnée aux amoureux après la pitoyable fin de leur première passion.
Aucune emphase, des gros plans de visage, tout ce qui dans le récit de Stanislaw Lem concerne les manœuvres de la planète Solaris pour attaquer la station spatiale, est résumé par un coup de téléphone et la crise de folie rapide d’un des savants, une folie qu’on peut aussi interpréter comme le tout normal effet d’une vie encagée. George Clooney y est convaincant, massif et réfléchi, loin de ses rôles précédents.

The Life of David Gale de Alan Parker (2003)

Le film plus émouvant sans doute, et pourtant ignoré par la critique, comme si un film de Parker ne pouvait rien valoir, la cause étant entendue.
Le film est un thriller noir, comme une fusée à trois détentes successives. Le finale inversant le premier finale plus conforme aux règles du genre mais qui déjà se détachait des clichés à fin heureuse qui veulent que la journaliste, en une course contre la montre, sauve le condamné à mort innocent.
Ce film contre la peine de mort repose sur une très solide documentation recueillie au Texas, tant dans la prison du couloir de la mort et ses centaines d’hommes en sursis que dans le bâtiment dévolu aux exécutions sans douleur, dont les responsables ont expliqué au cinéaste et les techniques douces de l’exécution sous piqûres et son prix ainsi que la teneur du dernier repas. La richesse du film tient à la complexité du personnage et la vraisemblance des situations qu’il domine : Dale est au début ce condamné à mort énigmatique et maître de soi qui, à quatre jours de sa mort, se définit comme n’étant plus qu’un assassin et un violeur.

En flashback, nous suivons son travail de militant anti-peine de mort, ses débats télévisés avec un gouverneur du Texas, et surtout, ce sur quoi achoppe la plupart des films qui traitent de bons professeurs, une manière confondante d’enthousiasmer des étudiants avec les théories de Lacan sur l’aspiration au bonheur gâchée par la réussite, qu’il éclaire des aphorismes de Pascal sur la chasse plutôt que la prise. Ce n’est qu’au dernier plan que cette séquence livre son secret. Trois visages d’un inoubliable Kevin Spacey.

Ja Zuster, Nee Zuster ! (Oui Nurse, non nurse !) de Pieter Kramer (2002)

Le film le plus hilarant et délirant, une comédie bien venue à la mi-temps d’un festival hanté par la mort, la maladie et la misère.
Un traitement pour le moins excentrique raconte la résistance d’un groupe de vieux déglingués un peu bizarres, que défend contre un affreux propriétaire raciste et crétin une infirmière à la Mary Poppins.
Au départ, sous le générique en musique, un arrangement chorégraphique digne de Busby Berkeley, avec des guirlandes de danseuses qui forment les lettres du titre, un petit ballet plus Jacques Demy que Minnelli, où l’on chante sous un parapluie, et en avant pour un récit abracadabrant avec amants timides, une infirmière au grand cœur et un petit monde du genre de Vous ne l’emporterez pas avec vous.
Le grotesque reste un peu simplet, les effets, un peu gros, la bonhomie rappelle plus les cabarets munichois que la finesse réputée française. Sans chichis, le film est sympathique et nous venge de tous les affreux de notre présent.

Good Bye Lenin ! de Wolfgang Becker (2003)

Ce fut le film le plus acclamé de la série en compétition. Un film drolatique et touchant, l’amour total voué par un garçon de 20 ans à sa mère, une comédie des mensonges qui invente en 1990, un Berlin-Est en pleine gloire, histoire de protéger d’une émotion qui serait fatale, une mère revenue d’un coma profond, et militante enthousiaste du régime disparu.
Le jeune héros reconstitue à Berlin une petite DDR miniature et efface toutes les traces du grand tournant ; il reconstitue les aliments d’avant le chute du mur, retrouve derrière les meubles Ikea flambant neuf les sofas et fauteuils de 1940, invente des explications plausibles à la disparition d’Honecker, à la publicité Coca-Cola et l’envol en hélicoptère du buste de Lénine. Un travail épuisant, à repêcher dans les poubelles les empaquetages des cornichons du Spreewald pour camoufler leurs cousins hollandais, transvaser les confitures et récupérer le fameux Mangold Café.
Le clou du film, c’est la reconstitution d’actualités bidons par un copain cinéphile et bon acteur, qui cravaté et en veston, annonce une nouvelle stupéfiante, les Mercedes et les BMW qui ont remplacé les petites Trabant sont celles d’Allemands de l’Ouest, déçus de la société de consommation, et qui enfoncent le Checkpoint Charlie pour rejoindre le paradis d’en face.
Ni caricature ni nostalgie, Becker dénonce en riant les illusions des Ossis qui croyaient faire fortune à l’Ouest, adoptant en quelques jours le clinquant, le gaspillage, les modes, la révolution sexuelle. Il fait voir la mainmise immédiate des grandes sociétés sur un pays pauvre et garde un esprit critique mais honnête devant les convictions d’une génération perdue. Un film de famille émouvant et en contrepoint la double histoire du grand tournant des deux côtés du mur.

Ma vie sans moi de Isabelle Croixet (2003)

C’est l’histoire d’une fille de 23 ans qui apprend qu’il ne lui reste que deux mois à vivre.

Comme à la veille d’un sommeil, elle établit la liste des choses à régler : expérimenter mets et drogues inconnus, se laisser aimer si l’occasion se présente, chercher pour son mari une femme qui plairait à ses deux filles, enregistrer deux séries de cassettes pour les dix prochains anniversaires de celles-ci.
Cette marche à la mort est un retour à l’essentiel et à l’amour, dans un Vancouver métissé d’étrangers : ses copines de balayages nocturnes sont espagnoles et l’étranger solitaire qui lui prête sa veste et veille sur son sommeil dans une petite laverie est un Chilien en exil, un intellectuel sans ressources. Un film tonique, frôlant le mélodrame pour s’en écarter vigoureusement avec un grand rire.

Andrée Tournès
Jeune Cinéma n° 281 & 282, avril 2003

Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts