par Patrick Saffar
Jeune Cinéma n°430, été 2024
Sélection officielle en compétition du Festival de Cannes 2024
Sortie le mercredi 16 octobre 2024
Là où Emilia Pérez, le dernier film de Jacques Audiard, pratique l’art du mélange, celui de Gilles Lellouche exécute un grand écart, entre le coup d’éclat permanent, sentimental, à la Xavier Dolan (version hétéro), et le film de poursuite et baston générale, du type BAC Nord de Cédric Jimenez (2020), genre que L’Amour ouf cherche à transfigurer en y injectant à l’occasion un hommage au Martin Scorsese de Casino (1995).
Le film, qui débute dans les années 80 dans le nord de la France et s’étale sur vingt ans (c’est son côté fresque), se voudrait un long hymne à l’amour, un amour qui serait d’autant plus puissant qu’il se voit sans cesse menacé par la violence de petite frappe du garçon - Clotaire, interprété successivement par Malik Frikah et François Civil - que la fille (Jackie, jouée par Mallory Wanecque puis Adèle Exarchopoulos - ne parvient que sporadiquement à canaliser.
Le problème est que cette construction, censée tout emporter sur son passage, y compris certaines facilités ou naïvetés scénaristiques, ne repose finalement à l’image que sur une bluette adolescente, avec ses emblèmes gentiment signifiants (le chewing-gum qui se mue en cœur battant ou bien le morceau musical à se passer sur son écouteur).
Le film pêche également par son rapport problématique au couple violence / amour, et on a peine à croire aux multiples conversions du garçon, ce que Gilles Lellouche affiche comme étant la "folie" de l’amour, dans la mesure où elles ne se traduisent que par un retour régulier à l’ordre d’une romance assez convenue.
De sorte que L’Amour ouf paraît constitué d’une suite de séquences qui auraient oublié l’existence de la précédente, tentant à chaque fois un nouveau coup de poker, une nouvelle mise. Restent quelques personnages secondaires attachants, grâce à l’interprétation de Élodie Bouchez (la mère de Clotaire) ou de Alain Chabat (le père de Jackie), qui, il est vrai, ressortissent davantage à une tradition de cinéma psychologique que Gilles Lellouche semble aussi vouloir embrasser.
Patrick Saffar
Jeune Cinéma n°430, été 2024
L’Amour ouf. Réal : Gilles Lellouche ; sc, dial : G.L., Audrey Diwan & Ahmed Hamidi ; ph : Laurent Tangy ; mont : Simon Jacquet ; mu : Emmanuel Ferrier. Int : Adèle Exarchopoulos, François Civil, Mallaury Wanecque, Malik Frikah, Élodie Bouchez, Alain Chabat, Anthony Bajon, Karim Leklou, Vincent Lacoste, Benoît Poelvoorde, Raphaël Quenard (France, 2024, 166 mn).