par Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°78, mai 1974
Sélection officielle en compétition du Festival de Cannes 1974
Prix d’interprétation féminine à Marie-José Nat
Sorties les mercredis 20 février 1974 et 16 octobre 2024
On a beaucoup vanté le film de Michel Drach, Les Violons du bal, "la si merveilleuse Marie-José Nat", l’émotion que suscitent les malheurs d’une famille juive, et le coup d’audace qui fait des difficultés à le réaliser le thème second du film. Et en effet le film est très émouvant. Pour nos générations, il fait revivre des souvenirs endormis. Beaucoup de gens pleuraient à la séance. On repensait à cette fille qui enseignait le latin dans un pensionnat catholique et qu’un signe de croix fait à l’envers fit reconnaître comme juive, et chasser. Ou bien à cette famille arrêtée à Toulouse dans un hôtel qui abritait tous les Juifs rescapés de la zone occupée, parce qu’elle n’avait pu se résigner à temps à se séparer.
Mais ces souvenirs personnels n’ont pas grand-chose à faire avec le film de Michel Drach dont la qualité est justement liée à toutes les scènes non-dramatiques. Le meilleur, ce sont les fragments d’enfance, les moments vécus à l’école, la complicité du petit garçon avec sa mère, les petits ridicules d’une famille riche.
L’absence de drame est due à la double inconscience, de l’enfant dont Michel Drach retrouve le vécu, et de la famille qui ne découvre le malheur collectif que lorsqu’elle est frappée. Quand Michel Drach met en scène le passage dans la zone libre, la filouterie des paysans qui escroquent la femme juive et l’abandonnent au milieu des patrouilles allemandes, l’émotion manque à l’appel, parce qu’elle est trop sollicitée, et qu’il ne s’agit plus d’un souvenir d’enfance mais d’une protestation du cinéaste adulte.
Quelle nécessité y a-t-il d’autre part à introduire à intervalles réguliers les démêlés de l’auteur avec les producteurs. Traitée en noir & blanc - ce qui lui donne parfois l’air d’un film noir américain -, cette partie contraste avec l’évocation du passé, tournée en couleur. Et la partie document sur le tournage d’un film apparaît beaucoup plus artificielle que le passé reconstitué.
Il ne s’agit pas évidemment ici comme dans le cas de Tout va bien de Jean-Luc Godard & Jean-Pierre Gorin (1972), par exemple, de rappeler au public : "Attention, ceci est un film, rien qu’un film ". Il n’était guère utile de prévenir en faveur d’une œuvre qui se défendait toute seule. Il est vrai que le personnage de l’auteur permettait d’introduire cette confrontation du cinéaste avec le jeune gauchiste qu’il emmène à la frontière suisse. C’est très artificiel. Surtout, parce qu’il est impossible d’établir une comparaison entre le malheur extrême des Juifs pendant la guerre - malheur d’autant plus terrible qu’il était subi et non choisi -, et la situation exceptionnelle de clandestinité dans laquelle est placé le jeune militant - réduit ici à un stéréotype - qui court certes des risques bien moindres, mais qui a fait de son engagement un choix.
Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°78, mai 1974
Les Violons du bal. Réal, sc : Michel Drach ; ph : William Lubtchansky & Yann Le Masson ; mont : Geneviève Winding ; mu : Jean-Manuel de Scarano & Jacques Monty. Int : Marie-Josée Nat, Jean-Louis Trintignant, Gabrielle Doulcet, Michel Drach, Christian Rist, Nathalie Roussel, Paul Le Person (France, 1974, 100 mn).