par Patrick Saffar
Jeune Cinéma n°430, été 2024
Sélection officielle en compétition du Festival de Cannes 2024
Sortie le mercredi 23 octobre 2024
Situé dans un petit village du delta du Danube, Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde, du Roumain Emanuel Parvu, vient d’être récompensé de la Queer Palm qui, selon son créateur, loin de se limiter au"thème" LGBT, implique de pouvoir récompenser "tout film participant de façon frontale ou oblique à l’émancipation des cadres du patriarcat" (1). En l’espèce, le film trouve son point aveugle dans une scène située hors champ, un baiser échangé entre deux garçons au sortir d’une boîte de nuit, suivi d’un passage à tabac accompli par deux jeunes du voisinage. Cet escamotage ne va pas sans s’accompagner d’une certaine sécheresse du trait, et pourrait signaler que l’homophobie n’est pas le seul sujet de l’œuvre, même si l’une des deux victimes, Adi (Ciprian Chiujdea), conserve tout du long, sur son visage, les stigmates de son agression.
Quant au patriarcat, si le plan de présentation de l’intérieur familial du jeune homme fait d’emblée apparaître son père, rongeant son frein au-devant de la scène, c’est la mère, bien plus autoritaire, qui va prendre le relais et amener à la scène terrible de l’exorcisme du fils, ligoté et bâillonné… Comme souvent, le supposé "crime social" éclipse le délit véritable accompli sur celui qui est reconnu coupable au regard de l’organisation de la société.
Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde se déroule selon plusieurs strates. En premier lieu, une manière de procès-verbal auquel le film s’identifie, mobilisant tout un empilement d’autorités : le père des agresseurs, les parents du garçon agressé, le prêtre, un policier local, une employée des services sociaux… Tout cela est vu avec une certaine neutralité, sans que les personnages en question ne soient véritablement accablés, même si Emanuel Pârvu ne nous épargne pas les tractations, intimidations et autres pressions auxquels se livrent les personnages.
Ensuite, l’attachement au concret (comment on amarre une barque…) dont les cinéastes roumains savent faire preuve - on n’a pas oublié La Mort de Dante Lazarescu de Cristi Puiu (2005), ou Le Trésor de Corneliu Porumboiu (2015). Enfin, les plans d’une nature ensoleillée, qui ouvrent à un environnement plus respirable et donnent à penser que quelque chose, en matière de tolérance, s’est peut-être déjà joué, ailleurs, en Roumanie.
Patrick Saffar
Jeune Cinéma n°430, été 2024
1. Libération, 24 mai 2024.
2. "Le Trésor", Jeune Cinéma n° 366-367, été 2015.
Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde (Trei kilometri pana la capatul lumii). Réal, sc, dial : Emanuel Parvu ; ph : Silviu Stavila ; mont : Mircea Olteanu. Int : Bogdan Dumitrache, Ciprian Chiujdea, Laura Vasiliu (Roumanie, 2023, 105 mn).