par Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma en ligne directe
Sélection officielle du Festival du documentaire d’Amsterdam 2023
Sortie le mercredi 6 novembre 2024
Les Kurdes demandent à Halkawt Mustafa : Pourquoi avoir montré Saddam Hussein si faible ? Et les Chiites : Pourquoi le montrer si fort ? Et pourquoi ne pas mentionner ce qu’il a fait ? C’est qu’il ne s’agit pas d’un film sur Saddam Hussein, mais sur le trou où il a été caché et ce qu’il y a derrière.
C’est l’histoire d’un fermier iraquien, Al’a, un Arabe hospitalier, et de son tête-à-tête de 235 jours avec Saddam Hussein, traqué par 150 000 soldats américain. Son frère Quayss l’avait chargé de le cacher. "Cette période, c’était comme d’être assis sur une chaise avec la corde au cou, prêt à basculer, ma famille menacée … mais je n’avais pas le choix", dit-il.
La vie matérielle s’organise, Saddam apprend à cuisiner, tout en continuant à diriger le Parti Baas par l’intermédiaire d’un parent de confiance. L’ambiance se plombe quand les Américains promettent 25 000 dollars à qui permettra de le capturer et 15 0000 dollars pour ses fils. Là, le danger ne vient plus des seuls ennemis. Les fils, Oussaï et Oudaï, sont dénoncés et massacrés. Et le messager, le cousin Mohamad Ibrahim qui venait chercher les consignes et transmettait des vidéos aux chaines TV arabes, est arrêté et torturé.
Saddam Hussein est extrait du trou, exécuté en décembre 2003. Al’a et Qayss passent sept mois à Abou Ghraib, cognés, martyrisés. Ils en sortent, peut-être à cause de la fermeture de la prison, après diffusion de l’odieuse photo de la soldate posant devant des suppliciés. Al’a quitte sa région avec son secret. À partir de 2010, Halkawt Mustafa a cherché la trace d’Al’a, et a fini par le débusquer après 23 voyages. Il l’a rencontré une première fois en 2013, encore meurtri et muet, un peu plus prolixe lors d’une deuxième visite, coopératif après l’offensive de Daesh en 2015. Il l’a emmené en Norvège, le temps du tournage, après une minutieuse et persévérante exploitation de quelques 15 000 documents, 3000 heures de vidéos, puis 25 heures de rushes et une sélection de séquences fortes et fugitives : le calme du Tigre, les images de guerre, la vie quotidienne, Abou Ghraib, les villageois…
Al’a est digne, civilisé, retenu. Halkawt Mustafa a dû le recentrer sur lui-même quand il s’égarait dans des propos positifs sur Saddam Hussein. Le sujet, c’était la cachette, son histoire, son camouflage fleuri, l’extraction, et lui-même. Le fermier a quand même pu dire : "Saddam, pour d’autres, c’était un dictateur, mais pour moi, c’était un ami". Et pour Saddam Hussein aussi, il a dû être un ami.
Le cinéaste a réalisé trois autres documentaires marquants, notamment El clásico (2015), mais ce dernier film, Hidding Saddam Hussein, est une œuvre achevée. Un objectif limité, une œuvre aboutie, après quoi, chacun retourne discrètement à son jardin. Halkawt Mustafa est kurdo-norvégien : ses parents l’ont emmené en Norvège quand il était petit pour fuir les persécutions perpétrées sous la dictature de Saddam Hussein. Le sujet du film est resté secret pendant le tournage, déclaré comme un documentaire sur l’assèchement de la région. Le film n’a été distribué qu’au Kurdistan, ni en Irak, ni au Koweit, ni aux USA, ni en Grande Bretagne. Mais c’est le documentaire le plus vu dans le monde arabe. La musique de Trond Jerkness est remarquable. Le film a coûté 1,2 millions dont 100 000 dollars de traduction : le réalisateur ne parle pas arabe…
Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma en ligne directe
Hidding Saddam Hussein. Réal, sc, mont : Halkawt Mustafa ; ph : Kjell Vassdal & Anders Herein ; mu : Trond Bjerknes. Int : Yassin Hamad Amin, Saidulla Faizulla, Chnar Imad Ghanm, Barzan Qabil Ibrahim, Rawand Jabah, Tarq Khayat (Norvège-Irak, 2023, 96 mn). Documentaire.