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Affaire Nevenka (l’) (2024)
de Icíar Bollaín
publié le mercredi 6 novembre 2024

par Jacques Pelinq
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection officielle du Festival international de San Sebastián 2024

Sortie le mercredi 6 novembre 2024


 


Cela se passe à Ponferrada, un gros bourg déjà bien à l’ouest, mais Saint-Jacques-de-Compostelle, c’est encore loin : neuf jours, à pieds et cinq de moins pour les fainéants, à vélo. Nous sommes le 26 mars 2001. Une conseillère municipale, adjointe aux Finances et au Commerce depuis 1999, vient juste de porter plainte contre le maire pour harcèlement sexuel et maltraitance au travail. Dans la foulée, elle annonce sa démission devant une nuée de journalistes. L’affaire fait grand bruit à l’époque car c’est la première fois en Espagne qu’on intente à un politicien un procès de cette nature. L’émoi est d’autant plus grand que Nevenka Fernández a eu avec cet homme une brève aventure, sans lendemain pour elle.


 

Deux ans plus tard, l’édile est condamné et contraint de se démettre. La peine, financière, frise le ridicule et le crédit du cacique local reste au plus haut tandis que, victime d’une sourde hostilité sociale lui fermant toutes les portes, malmenée par des médias qui la traitent rien moins qu’en suspecte, déconsidérée par le monde politique - "des gens de droite en train de régler leurs comptes" dit la gauche -, abandonnée par les féministes, la jeune femme de 26 ans n’a d’autre issue que de prendre le chemin de l’exil.


 


 

Plus de vingt ans plus tard, Icíar Bollaín revient sur cette affaire, s’appuyant sur un livre de 2004, où l’auteur en écrit le récit en se plaçant du côté de celle qui gagne le procès mais perd son honorabilité. Une manière aussi, pour l’auteur, de dénoncer l’environnement machiste où baigne la bonne ville de Ponferrada, "un aquarium rempli de vilains poissons noirs où vient tomber un petit poisson rouge".


 


 

Icíar Bollaín et Isa Campos, qui était déjà sa coscénariste pour Maixabel (2021) construisent le film à partir de leurs entretiens avec Nevenka Fernández et avec d’autres personnes contemporaines des faits, avec la volonté de conjuguer l’aspect documentaire apporté par le déroulement du procès et son environnement social et médiatique, avec ce matériau plus intime qu’apporte la parole des protagonistes. Le film tire résolument du côté de la fiction dont le propos est la mise en scène du calvaire vécu pendant presque deux ans par la jeune femme qui subit l’emprise progressive de l’amant éconduit, revanchard, roublard.


 


 


 

Menaces, violence, sirupeuses caresses verbales, auto victimisation, moqueries et humiliations publiques : tout y passe et le goutte-à-goutte mortifère finit par déstabiliser la jeune femme en proie à la honte et à la culpabilisation. Air connu, hélas. La caméra de Icíar Bollaín est toujours discrète, sans recherche de l’effet. Elle suit les corps au plus près, créant une tension habilement entretenue tout au long de la narration au point qu’on a parfois l’impression de regarder un thriller. On est du côté d’un cinéma efficace où le sens du spectacle n’est pas oublié, celui de Ken Loach ou des frères Dardenne, de ceux qui gardent l’espoir de réveiller un peu les consciences. L’autrice s’adresse ici à qui ignorait, ou avait oublié, ou refusait de voir, c’est-à-dire à chacun d’entre nous, comme le souligne la chanson écrite pour le film par le duo Fillas de Cassandra : "Aquí todos miran pero nadie ve" ("Ici tout le monde regarde mais personne ne voit).


 


 

Dans un deuxième mouvement, le film montre comment un être en détresse arrive à se reprendre, à faire prévaloir la raison sur l’émotion. Il faut ici revenir au titre original qui est issu d’une réplique de Nevenka Fernández au prédateur, au moment où elle explose de rage, ne supportant plus qu’il tente de l’amadouer en l’appelant par son diminutif "¡ Ya no soy Kenke, soy Nevenka !", qu’on peut rendre par "Kenke, c’est fini, moi c’est Nevenka !". L’heure de la révolte sonne quand l’identité est menacée. Dès lors, cette forte femme va se relever et reconquérir sa dignité en décidant de traîner le maire en justice.


 


 

Soy Nevenka ressortit, à sa façon, à un cinéma militant qui dit aux femmes meurtries qu’il ne faut pas avoir peur de libérer la parole, qu’elles ne sont pas seules, que la solidarité féminine, ça existe. Comme d’autres films d’un peu partout, il arrive dans un contexte où, cahin-caha, la honte semble changer de camp - comme on dit aujourd’hui - et où on cesse de transformer la victime en coupable.
Le film a déclenché en Espagne une énorme vague de sympathie pour cette femme bannie par ses concitoyens, parfois par ses proches et qui vit toujours hors d’Espagne. En témoigne la très émouvante ovation que le public a réservée à Nevenka Fernández en personne lors du festival de San Sebastián, une sorte de réparation à laquelle participe aujourd’hui une presse assez différente de celle qui, il y a un quart de siècle, l’avait condamnée, à une époque où on était moins intéressé par la vérité que par les conséquences que pouvait entraîner sa publication. En témoigne aussi ce "mural" et ce panneau planté, sans doute pas par une instance officielle, au beau milieu d’un rond-point de Ponferrada qui remercie Nevenka Fernández pour son courage.

Jacques Pelinq
Jeune Cinéma en ligne directe


L’Affaire Nevenka (Soy Novenka). Réal : Icíar Bollaín ; sc : I.B., & Isa Campo, d’après le livre de Juan José Millás ; ph : Gris Jordana ; mont : Nacho Ruiz Capillas ; mu : Xavi Font & Fillas de Cassandra ; déc : Mikel Serrano ; cost : Clara Bilbao. Int : Mireia Oriol, Urko Olazabal, Ricardo Gómez, Carlos Serrano, David Blanka, Xavier Estévez, Martxelo Rubio, Luis Moreno (Espagne, 2024, 117 mn).



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