Un dessin animé ou des destins dessinés : un train de marchandises ralentit, un déporté parvient à lancer au dehors son bébé enveloppé dans un beau châle brodé, espérant qu’il pourra être recueilli et sauvé. Une vieille bûcheronne polonaise ramassant des fagots pour se chauffer entend un faible pleur et tend l’oreille.

Elle cherche et trouve le bébé qu’elle ramène chez elle. Le bûcheron, devinant qu’il s’agit d’une "marchandise" interdite destinée à la destruction, relègue femme et enfant dans la grange glaciale. La bûcheronne passe un marché avec un blessé défiguré qui vit en ermite dans la forêt et obtient du lait de chèvre contre des fagots, le temps de survivre. La petite fille grandit, commence à marcher, sourit au bûcheron... Ils sont dénoncés, et quand la milice arrive, il va résister et se défendre à la hache, pour laisser le temps de fuir à la bûcheronne et la petite fille. La guerre s’achève. Le père de l’enfant a échappé à la mort, il revient dans la région et, sur un marché, repère une petite fille qui vend des fromages de chèvre déposés sur un beau châle qu’il reconnaît. Bouleversé, il hésite, il se regarde dans une glace, il se fait peur, il va passer son chemin.

Si Michel Hazanavicius est un habitué de Cannes, la sélection en compétition de cette œuvre était hautement improbable, les films d’animation sont très rares, le dernier étant, en 2008, Valse avec Bachir de Ari Folman. Son existence même ne l’était pas moins. Michel Hazanavicius a toujours dessiné, mais ne montrait jamais son travail. Par ailleurs, le film fut retardé par le covid. Et enfin, l’enregistrement de la voix du narrateur, Jean-Louis Trintignant, se fit dans des conditions difficiles, il était déjà malade - ce fut d’ailleurs son dernier film.

Mais ces dessins si vivants étaient peut-être le meilleur moyen, le moins bavard, le plus expressif, d’évoquer la Shoah en Pologne, les réactions, les défenses, les ruses pour survivre, les solitudes. Peu importe qu’il n’ait pas été primé, l’essentiel était que ces dessins soient sélectionnés en compétition, comme mode d’expression nécessaire.

Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma n°430, été 2024

La Plus Précieuse des marchandises. Réal, sc, graph : Michel Hazanavicius ; sc : Jean-Claude Grumberg ; voix : Jean-Louis Trintignant, Dominique Blanc, Grégory Gadebois, Denis Podalydès (France-Belgique, 2024, 81 mn).