par Anita Lindskog
Jeune Cinéma en ligne directe
Sélection officielle des États généraux du film documentaire de Lussas 2022
Sortie le mercredi 27 novembre 2024
Dans A Holy Family, son deuxième long-métrage documentaire, Elvis A -Liang Lu (1) dresse un portrait de ses retrouvailles familiales après vingt quatre années d’absence. Il avait quitté sa famille résidant à Minxiong, village d’une zone rurale reculée du Sud-ouest de Taïwan pour vivre dans la capitale, Taipei, le centre politique, culturel et économique.
À Minxiong, tout le monde vit de l’agriculture ou de la pêche et rêve de devenir riche. Car il existe ici une loterie clandestine le "Mark Six" qui entraîne des familles entières dans la misère. Et c’est le cas de la famille du cinéaste criblée de dettes et tombée dans la précarité tout en invoquant les divinités pour conjurer la malchance. C’est tout cet univers que le fils a fui. Revenir vers les siens, c’est se confronter à une rupture, aux raisons de son départ, et entreprendre un chemin de réconciliation non seulement avec chacun des membres de la famille mais avec lui-même.
C’est par petite touches intimes dans une très belle photographie baignée d’une magnifique lumière (la scène de la récolte des tomates) que la caméra suit les différents protagonistes dans leur quotidienneté.
Il y a le grand frère, A-Zhi, reconnu comme médium dans le village depuis l’âge de ses 12 ans. Ainsi, un autel en hommage aux douze divinités taoïstes a-t-il été érigé au cœur du foyer familial. A-Zhi prodigue leurs conseils aux habitants du village et, en particulier les numéros de loteries, en échange de dons. Il contribue sans doute à alimenter la dépendance au jeu de son père. Sur le plan agricole, il ne cesse de rencontrer des échecs. Le père est un joueur invétéré qui a sombré dans l’addiction pour le jeu à la loterie clandestine. Il cherche partout des signes divins qui lui enverraient les bons numéros y compris dans les volutes de fumée de l’encens sacré. Il tombe très malade.
La mère, elle, assure par sa seule présence l’unité de cette famille à la pauvreté grandissante. Face à un mari irresponsable en proie "à la plaie du jeu" (huit grille par semaine), après quarante années, une vie de labeur, elle vieillit et commence à s’affaiblir. C’est elle qui est à l’origine du retour d’A-Liang, car elle souhaitait des photos avant la mort. Elle trouve sa seule source de réconfort en pratiquant les rituels religieux devant l’autel taoïste de leur maison. Ses confidences à son fils devant la caméra sont bouleversantes.
Le retour d’A-Liang retisse les liens dans la famille. Son arrivée, avec une caméra introspective, lui permet de faire face à ses propres blessures, contribue à une libération de la parole de chacun, et dresse un portrait intime de cette famille. Ses membres vont renouer par la compréhension mutuelle malgré les divergences de croyances religieuses.
Ce très beau documentaire, véritable cheminement filmique d’une réconciliation de chaque instant à vivre, résonne avec une grande justesse.
Anita Lindskog
Jeune Cinéma en ligne directe
1. Alias Elvis Lu. Son premier film The Shepherds (2018) a été sélectionné et récompensé dans de nombreux festivals dont le Festival international du film de Taipei 2018.
A Holy Family. Réal, sc : Elvis A -Liang Lu ; ph : Wen-Chin Chou, Elvis A-Liang Lu & CK Chen ; mont : Yi-Ling Huang ; mu : Point Hsu. Avec Avec Ying-Zhu Lu, Yu-Zhu Zhang, Elaine Lu, Lucas Lu, Yan-Yu Hong, Ming-Yuan Dai, Cong-Yi Hsu (Taïwan, 2022, 88 mn). Documentaire.