par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe
Sélection officielle de la Berlinale 2014
Sortie le mercredi 22 avril 2015
Les films sur la peinture et les musées ont le vent en poupe. Celui de Antoine Barraud, bien que réalisé sur plusieurs années, surprend parce qu’il propose une vision différente, plus métaphorique, en s’appuyant sur Bertrand Bonello, son cinéma et son personnage. Le réalisateur part du postulat qu’il est très difficile de filmer la peinture, et se souvient de la longue lettre qu’il lui avait écrite en 2008 pour lui dire combien il avait aimé son film De la guerre.
Hésitant entre le documentaire et la fiction, il finira, au cours du tournage, par basculer dans la seconde en permettant à Bertrand Bonello de dévoiler ses talents d’acteur, et aussi de réaliser pour le film ses "films fantômes" - tels La Mort de Laurie Markovich, Madeleine d’entre les morts ou American Music - qui avaient été évoqués au cours de l’hommage que le centre Pompidou lui avait rendu.
Véritable mise en abyme de Vertigo, que Bertrand Bonello adore, Le Dos rouge est en fait un hommage appuyé à la célèbre scène dans laquelle Kim Novak contemple, vue de dos, son métonymique chignon en spirale au premier plan, le portrait de Carlotta Valdes, son double cinématographique.
Ici, l’art surréel ouvre la porte de l’inconscient. "Ce qui me bouleverse, déclare-t-il, c’est à quel point l’héroïne du film n’est aimée que quand elle est quelqu’un d’autre. J’aime le côté tragique de son destin. Le film est dingue, parfait."
Le Dos rouge n’est pas un énième film sur l’art pictural même s’il nous permet de découvrir plusieurs tableaux plus ou moins connus, ceux du magnifique musée-atelier de Gustave Moreau, mais aussi Chasseriau, Caravage, et l’autoportrait intrigant et horrible de Leon Spilliaert qui conclut ce film sur la recherche du monstre.
Bonnello-comédien improvise souvent devant la toile, comme cette belle remarque que le réalisateur nous certifie être de Jeanne Balibar devant une toile de Miro : "Le Catalan international me laisse assez de marbre"... L’art sera monstrueux ou ne sera pas, semble être la devise de Bertrand Bonello, à travers une œuvre qui propose des énigmes et ne donne aucune clé.
On ne saura jamais qui est cette mère off dévorante qui raconte la vie du personnage, ni d’où vient cette énorme tache rouge qui donne son titre au film et lui dévore le dos "comme si un monstre s’était posé sur lui pendant la nuit et avait laissé une trace".
Tout comme on ne saura jamais pourquoi donner un rôle dans Prométhée enchaîné d’Eschyle à la femme du personnage, comme s’il s’agissait de périr dans les flammes du savoir. Tout ceci a un côté certes ésotérique, mais jouissif, servi par la présence de femmes sublimes, Jeanne Balibar, Géraldine Pailhas, Joana Preiss, Nathalie Boutefeu, Valérie Dréville, Marta Hoskins, Isild Le Besco, et la voix-off de Charlotte Rampling.
"J’ai l’impression, déclare le réalisateur, d’avoir toujours voulu faire du cinéma pour filmer les femmes." Et les œuvres d’art, pourrait-on ajouter.
Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe (avril 2015)
Le Dos rouge. Réal, sc : Antoine Barraud ; ph : Antoine Parouty ; mont : Catherine Libert. Int : Bertrand Bonello, Jeanne Balibar, Géraldine Pailhas, Joana Preiss, Nathalie Boutefeu, Valérie Dréville, Marta Hoskins, Isild Le Besco, Barbet Schroeder, Pascal Greggory (France, 2014, 127 mn).