par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°433, décembre 2024
Sélection ACID au Festival de Cannes 2024
Sortie le mercredi 4 décembre 2024
Cent mille milliards est le troisième long métrage de fiction de Virgil Vernier, après Mercuriales (2014) et Sophia Antipolis (2019), le premier étant situé dans les fameuses tours de Bagnolet, le second dans la technopole de la côte d’Azur. Le réalisateur se laisse inspirer par les lieux, comme le prouvent également ses documentaires. Il peut s’agir d’une caserne de gendarmerie en 2007 (Flics), d’un commissariat de police en 2009 (Commissariat) (1), de "quartiers" chauds de banlieue en 2007 (Chroniques de 2005) et, en 2021, (Kindertotenlieder). À l’opposé, il traite des hauts lieux du tourisme et de la consommation, en 2013, avec (Andorre) ou, en 2020, des clubs chics de Genève avec leur jeunesse noctambule (Sapphire Crystal).
Poursuivant sa démarche cartographique, Virgile Vernier s’intéresse ici à Monaco (2). L’époque choisie est celle de la période des fêtes de fin d’année, lorsque la ville est encore plus désertée que le reste du temps après six heures du soir. Dès lors, la cité princière paraît lugubre, réduite à une enfilade de boutiques de luxe éclairées, bordée de sapins de Noël, visage kitsch d’un royaume qui continue à faire rêver et à alimenter les magazines. Le cinéaste filme à peine les buildings censés être symboles de prospérité. La spéculation immobilière va pourtant bon train, comme le montre un des chantiers hérissés de grues gigantesques. On n’apercevra jamais un seul ouvrier. Monaco, tel le Moloch, a besoin de corps désirables. Les principaux personnages du film sont de jeunes escorts, la frontière étant floue, selon Virgile Vernier, entre prostitution, travail d’hôtesse ou figuration à une soirée de lancement de produit. Le regard du cinéaste n’est jamais moralisateur. Le film ne s’apitoie pas sur le sort des protagonistes ni ne les caricature. Les jeunes, quatre filles et un garçon, tentent leur chance à Monaco et vivent en colocation. On s’y querelle, naturellement, à propos de la répartition des tâches ménagères. La plus énergique de la communauté propose une gestion rationnelle de leurs gains et de faire appel à un comptable. Cette scène semble improvisée, prise sur le vif. Les interprètes sont d’autant plus convaincants qu’ils n’ont, d’évidence, aucune expérience de la caméra.
Lorsque les jeunes femmes s’éclipsent pour faire leurs affaires à Dubaï, sort de l’ombre le garçon que l’on avait peu remarqué jusque-là. Il a pour nom Afine, se tient sur ses gardes, peu sûr de lui, ce que ses amies prennent pour de l’apathie. Il a 18 ans, il est particulièrement photogénique. Calme et mélancolique, il reste mystérieux. On ne saura d’où il vient, si c’est d’Afrique du nord ou du Moyen-Orient. Il gagne sa vie comme sex-worker et s’offre, ou se fait offrir, de coûteux vêtements. On lui fixe rendez-vous par SMS. Parmi ses clients se trouvent un Africain à la musculature impressionnante et une sexagénaire française fortunée.
Seul pour les fêtes, il erre dans la ville lorsqu’il rencontre une ex-collègue, Vesna, qui l’invite à passer quelques jours avec elle dans l’appartement vide d’un couple de riches Chinois - ce sont eux qui justifient le titre du film. Elle est chargée de la garde de leur fille de 12 ans, Julia. Vesna s’épanche. Elle voudrait ouvrir un salon d’esthéticienne à Nice. Si cela ne marchait pas, elle serait obligée de retourner en Serbie. En attendant, elle doit jouer les baby-sitters.
La petite Julia s’attache à Afine et la sympathie est mutuelle. Tous deux déambulent en ville. Elle lui fait découvrir un passage sous un rocher qui mène à la plage. Et lui confie que ses parents construisent une île en prévision d’une catastrophe inéluctable.
La figure de l’enfant donne une tonalité poétique à un récit sans illusions où l’avenir est synonyme de menace, d’évanescence ou d’apocalypse. La rencontre de ces deux êtres solitaires aux extrêmes de l’échelle sociale relève du conte de Noël. Happy end oblige, une note d’espoir se traduit par l’apparition, à l’horizon, de nuages éclairés du solstice d’hiver.
Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°433, décembre 2024
* As known as 100 000 000 000 000.
1. Les deux films ont été coréalisés avec Ilan Klipper.
2. Monaco est également le sujet de Imperial Princess, tourné au smartphone et présenté au Festival du Réel 2024.
Cent mille milliards. aka 100 000 000 000 000. Réal : Virgil Vernier ; sc : V.V. & Benjamin Klintoe ; ph : Jordane Chouzenoux ; mont : Charlotte Cherici. Int : Zakaria Bouri, Mina Gajovic, Victoire Song (France, 2024, 77 mn).