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Sangre de mi sangre (2014)
de Jérémie Reichenbach
publié le mercredi 22 avril 2015

par Laurent Berger-Vachon
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection en compétition au Cinéma du Réel 2014

Sortie le mercredi 22 avril 2015


 


Un abattoir en détresse, le phénomène aurait pu laisser apparaître un sourire condescendant sur nos lèvres de citadins, si la caméra n’était venue pénétrer les murs de l’entreprise argentine sauvée par ses ouvriers à la force du poing et du couteau.


 

Les couteaux.
Comment les oublier ?
Dès le passage à l’intérieur du microcosme, les manches solidement pressés par les mains agiles des hommes qui se préparent à œuvrer - à passer à l’acte -, ils apparaissent dans un mouvement mécanique, rapide, répétitif, maîtrisé. Ils ouvrent le bal. Ils dansent sur les ustensiles à aiguiser. Ils plantent le décor avant de planter la chair de l’animal encore presque imperceptiblement animé des vibrations d’un système nerveux en déroute.

Derrière l’instrument du sacrifice, se révèlera vite une arme de survie.

Les discussions, les confrontations de paroles de travailleurs de l’entreprise autogérée révèlent un passé douloureux.
Il a fallu se battre contre les injustices dans un contexte de crise économique et de mal-être social. Peu ont tenu la lutte jusqu’au bout. Au sein de la collectivité issue de la récupération du bien de production et de l’embauche des bras disponibles sur le terrain, il y a ceux qui se souviennent des départs et des retours opportuns à l’heure de l’aboutissement des démarches.


 


 

L’autopsie de l’organisme industriel a toutes les facettes d’une composition humaine.
En évitant une construction historique du récit, l’auteur échappe à une linéarité et prend le parti de laisser vivre les sujets de son observation pour parvenir à la force de son propos.

D’image en image, avec une intimité quasi fusionnelle, la présence de l’objectif s’évapore dans les scènes du quotidien. L’introspection d’une communauté prend forme. Les visages se révèlent dans le rythme du travail, de la vie de famille, du rituel de la fête et du sang qui coule.
Le combat pour survivre, le rapport au travail qui tue chaque jour pour se nourrir et faire vivre les membres de la tribu, ont tissé des liens qui semblent avoir une intensité viscérale. La vie est saisie dans sa plus pure et dure réalité.


 

Travailler, c’est tuer. Travailler, c’est manger. Travailler, c’est vivre, et, vivre, c’est travailler. Le cycle sanguinaire tourne sur lui-même et l’on prie de peur qu’il ne s’arrête.

Ainsi l’enfant - figure de régénération de la famille, figure de transmission de l’appareil professionnel et du temps d’après - peut avancer - tout droit, tout sourire - vers la machine à tuer, enfermé dans l’irréversibilité de sa condition et de ce destin, où la vie et la mort paraissent avoir pris une valeur équivalente.

En signant son premier long métrage, Jérémie Reichenbach, affirme le caractère social de ses explorations et de sa recherche, et les marques singulières de son écriture.

La vérité intrinsèque de la matière brute empêche au film d’être choquant.
Dans une dynamique de superposition des représentations de l’homme, de l’animal et des objets, le cinéaste documentariste montre tout simplement.

Difficile de ne pas admettre la cruauté d’un fonctionnement vital. Le spectateur peut accepter ou rejeter la proximité avec son propre processus. Gare à l’effet rétroactif de la conscience. Ce serait alors notre tour de réaliser que ces 79 minutes nous ont emportés dans un voyage au centre de nous-mêmes, pour y découvrir une part de néant égale en chacune de nos existences.

Laurent Berger-Vachon
Jeune Cinéma en ligne directe


Sangre de mi sangre. Réal, sc, ph, son : Jérémie Reichenbach ; mont : David Jungman. (France-Argentine, 2014, 77 mn). Documentaire.



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