"Marmaille" le chant d’une langue, le créole réunionnais, merveilleux à entendre suave et drôle à la fois, dans un premier film réalisé par Grégory Lucilly, cinéaste de l’île. Violemment chassés par leur mère, Thomas (Maxime Calicharane), sa sœur Audrey (Brillana Domitile Clain) et son bébé sont à la rue. La situation sociale des jeunes sur l’île est très précaire, nombre d’entre eux sont sans emploi, sans logement, et vivent chez les parents. Thomas et Audrey sont placés chez leur père qui a refait sa vie et a d’autres enfants. Comment apprendre à vivre ensemble quand le poids du passé et de l’abandon sont plus lourds que l’affection naissante d’un nouveau foyer ? Que peut un père après tant d’années d’absence ?

L’abandon parental a renforcé le lien fraternel entre Thomas et Audrey, inaltérable attachement qui les protège, les aide à trouver leur chemin et leur place dans la société. En effet, Audrey trouve du travail, s’accroche et réussit, Thomas danse et rêve de rejoindre la métropole en gagnant le concours de break-dance. Le rythme du récit, rebondissant et léger pourrait venir de cette langue si chantante, en résistance au chagrin et au déterminisme social.

Grégory Lucilly suit de très près les deux adolescents dans leur combat contre l’adversité, donnant ainsi l’impression que s’affrontent face à face, d’une part une fureur de vivre, incarnée par la passion féroce de Thomas pour la break-dance et, d’autre part, une douceur de la langue créole, lors des relations harmonieuses avec sa sœur. Malgré la douleur enfouie, cette juxtaposition de forces contraires fabrique un film électrique et poétique. On y découvre un danseur inspiré et ardent qui ne peut marcher et courir qu’en dansant vers un avenir qu’il pressent. À noter la merveilleuse interprétation du jeune acteur qui exprime aussi une certaine mélancolie, celle-ci pouvant aller de pair avec l’assurance d’un talent.

La douceur du climat, de la nature et de la langue aux intonations musicales apaise les relations difficiles avec la famille, l’attitude du père d’abord distante se change en timide tendresse. Il affiche une fierté pour ses enfants, les prend en affection et les encourage. Ce premier film séduit par son optimisme, sa fraîcheur et son esprit bénéfique.

Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°433, décembre 2024

Marmaille. Réal, sc : Grégory Lucilly ; ph : Renaud Chassaing ; mont : Jennifer Augé ; mu : Audrey Ismaël. Int : Maxime Calicharane, Brillana Domitile Clain, Vincent Vermignon, Délixia Perrine (France, 2024, 92 mn).