par Youri Rebeko
Jeune Cinéma n°433, décembre 2024
Sélection officielle du Festival international de San Sebastián 2024
Sortie le mercredi 4 décembre 2024
On connaissait le thriller politique en costards, voici le thriller religieux en soutanes. Écrit par le scénariste de La Taupe ((1), Peter Straughan, d’après un roman du vétéran du genre Robert Harris, Conclave raconte, comme son titre l’indique, un huis-clos entre cardinaux chargés d’élire leur nouveau chef. Oui, mais. Sur son lit de mort, le Pape a laissé quelques indices à son plus proche conseiller, le cardinal Thomas-je-ne-crois-que-ce-que-je-vois-Lawrence, qui pourraient bien faire basculer l’élection…
Les mystères s’empilent - qu’a dit le Pape sur son lit de mort ? Qui est le cardinal Benitez, dont personne n’a jamais entendu parler, et qui arrive à la dernière minute ? L’Église va-t-elle choisir la voie de la réforme, ou de la réaction ? Dès les premiers plans du film, Edward Berger pose sa thèse - rien de ce que vous allez voir n’est sacré, c’est une affaire d’hommes. Le corps sans vie du Pape est mis dans un sac plastique, et jeté sur un brancard comme on sortirait ses poubelles. Machines à café, néons grésillants, ascenseurs bruyants, couloirs impersonnels - le cinéaste s’attache à montrer le Vatican comme un vulgaire séminaire d’entreprise. Les petites manigances des uns et des autres pour tirer la couverture à eux, gratter des voix ou des postes, ne font que renforcer l’entreprise de désacralisation.
Et pourtant, toute cette bassesse, toute cette médiocrité finit par créer du sacré. C’est le paradoxe au cœur cette histoire, et de la mise en scène de Edward Berger, qui, par ses cadres, inscrit ses personnages dans des décors qui les dépassent, en les iconisant dans leur banalité. Parfois un peu trop appuyés, ces contrastes restent la grande réussite plastique du film. Il semble même vouloir trouver dans ces plans une certaine transcendance, au contraire d’un Nanni Moretti, qui n’hésitait pas aller dans un registre plus grotesque dans Habemus Papam (2011).
Mais cette quête de transcendance est à l’image de son protagoniste, ayant perdu la foi en l’Église. Lui, qui doute de la pertinence de cette institution, verra sa foi ravivée dans les derniers mouvements de l’intrigue. Malheureusement, le château de cartes scénaristique s’effondre pendant ces dernières séquences, en faisant intervenir des éléments narratifs exogènes au récit, ce qui donne lieu à un enchaînement de révélations difficiles à acheter. Les thrillers paranoïaques dont le cinéaste se revendique sont réussis lorsqu’ils parviennent à mettre en place tous les engrenages pour arriver au bout de leur intrigue, sans avoir recours à des "deus ex machina". On aurait aimé que le Pape décédé laisse à ses disciples, et aux spectateurs, tous les indices pour mener à bien son plan, sans que le scénario ait besoin de ces twists surfaits, et qui font que le thriller achoppe.
Cependant, on peut voir dans Conclave un signal positif venant d’un Hollywood où ce genre de films semblait avoir presque disparu, ou avoir été relégué aux plateformes de streaming. Tenu par un casting impeccable et une réalisation maîtrisée, le film reste l’un des thrillers politiques les plus habiles vus ces dernières années.
Youri Rebeko
Jeune Cinéma n°433, décembre 2024
1. La Taupe (Tinker, Tailor, Soldier, Spy) de Tomas Alfredson, (2011), d’après le roman de John le Carré (1974). Peter Straughan était co-scénariste avec Bridget O’Connor.
Conclave. Réal : Edward Berger ; sc : Peter Straughan d’après le roman de Robert Harris ; ph : Stéphane Fontaine ; mont : Nick Emerson ; mu : Volker Bertelmann ; déc : Suzie Davies ; cost : Lisy Christl. Int : Ralph Fiennes, Stanley Tucci, John Lithgow, Isabella Rossellini, Lucian Msamati, Carlos Diehz, Sergio Castellitto, Brían F. O’Byrne, Merab Ninidze, Jacek Koman, Rony Kramer (USA-Grande-Bretagne, 2024, 120 mn).