par Youri Rebeko
Jeune Cinéma n°433, décembre 2024
Sélection officielle du Festival internatinal du film de Santa Barbara 2024
Sortie le mercredi 4 décembre 2024
Mastodonte de la comédie musicale, joué devant près de 65 millions de spectateurs depuis sa création en 2004 à Broadway et dont les chansons sont devenues des tubes pop, Wicked a donc droit à son adaptation au cinéma. Réalisé par Jon M. Chu, ce diptyque (oui, car ce n’est que la première partie), est donc le "prequel" du Magicien d’oz de 1939. En somme - on nous explique comment la méchante sorcière de l’Ouest est devenue méchante. Tout ça en chansons.
Wicked est intéressant en cela qu’il constitue presque une impasse critique. Indéniablement, le résultat est d’une efficacité absolue. Les interprètes - Cynthia Erivo, venant de Broadway, et Ariana Grande, qu’on ne présente plus -, transcendent leurs rôles. L’une est dans la retenue, pour faire éclater sa puissance dans la chanson finale. L’autre manie à merveille le second degré et la comédie.
Les décors, construits en dur, comme au bon vieux temps de l’âge d’or (9 millions de tulipes plantées, lit-on dans la presse) sont réjouissants et regorgent d’idées visuelles. Les chansons sont exécutées à la perfection. Les chorégraphies sont, pour la plupart, inspirées et impressionnantes, et les choix d’écriture se révèlent tous pertinents, en assumant pleinement un registre kitsch et mélo pour faire surgir une émotion brute.
On peut aussi se réjouir que le genre de la comédie musicale, pilier la mythologie hollywoodienne, et qui fut un terrain d’expérimentation magnifiques pour des cinéastes majeurs, soit de nouveau perçu par les studios comme un genre fédérateur. Le film, d’ailleurs, semble vouloir pleinement s’inscrire dans cette tradition, évoquant dès son générique le Magicien d’oz original.
Pourtant, au bout de 2 heures 40 de métrage, on ne sait toujours pas qui est Jon M. Chu, quel est son point de vue sur cette histoire, ni pourquoi il s’attache à la mettre en scène. Il n’augmente pas, ni ne commente, son matériau d’origine. Lorsque Steven Spielberg s’attaque à West Side Story en 2021, son projet n’est pas de refaire le film de 1961, mais de proposer une nouvelle lecture de l’œuvre de Leonard Bernstein & Stephen Sondheim. Il choisit de filmer un New York en pleine mutation, et des personnages qui dansent sur des ruines, comme pour montrer l’absurdité de leur rivalité. Ce pour quoi ils se battent est voué à être détruit, renforçant ainsi la dimension tragique de l’œuvre. Tous les choix de Steven Spielberg viennent soutenir un point de vue qui dépasse la simple adaptation d’un matériau préexistant. Le film a été un échec commercial.
Wicked, au contraire, roule sur la concurrence. Il est ainsi parfaitement représentatif du système hollywoodien contemporain. Car c’est une IP, une propriété intellectuelle avant d’être un film de cinéma, et il s’agit, pour Universal, d’en faire le produit le plus lisse possible pour qu’il s’adresse, dans leur logique, au public le plus large possible. D’un point de vue industriel, ils ont eu raison - le film a battu des records au box office. En tant que spectateur, on se laisse emporter par l’histoire, les chansons, les comédiennes. L’expérience en salles est plaisante. Et on se retrouve devant le paradoxe d’un film réussi… aux dépens de son réalisateur, à se demander s’il était même nécessaire dans l’équation.
Youri Rebeko
Jeune Cinéma n°433, décembre 2024
Wicked :Part One. Réal : Jon M. Chu ; sc : Winnie Holzmannote & Dana Fox, d’après la comédie musicale Wicked : The Untold Story Of The Witches of Oz de Stephen Schwartz & Winnie Holzman ; ph : Alice Brooks ; mont : Myron Kerstein ; mu : John Powell & Stephen Schwartz ; déc : Nathan Crowley ; cost : Paul Tazewell. Int : Cynthia Erivo, Karis Musongole, Ariana Grande-Butera, Jonathan Bailey, Ethan Slater, Marissa Bode, Cecily Collette Taylor, Peter Dinklage Luisa ; Michelle Yeoh, Jeff Goldblum, Bowen Yang, Bronwyn James, Keala Settle, Andy Nyman (USA, 2024, 160 mn).