par Sol O’Brien
Jeune Cinéma en ligne directe
Sélection du Festival du film d’Histoire de Pessac 2024
Sortie le mercredi 18 décembre 2024
Tout le monde connaît Sarah Bernhardt (1844-1923), ne serait-ce que de nom, même ceux qui ne sont jamais allés au théâtre. C’est ce qui en fait un personnage historique. Pas mal de gens ont entendu parler de ses extravagances. C’est ce qui en fait une légende. Tout le monde, en France et aussi à l’étranger, car sa réputation vient aussi de ses nombreuses tournées en Europe et aussi en Amérique du Nord et du Sud (1). C’est la grande époque des "monstres sacrés du théâtre", et Marcel Proust en fit le modèle de la Berma. Éprise de publicité, elle prit d’ailleurs soin de diffuser abondamment les photos de ses voyages, ce qui agaçait les critiques français.
Curieusement, si les informations, publiques surtout, ne manquent pas (archives et écrits), et si elle a joué dans une dizaine de films entre 1900 et 1924, il n’y a pratiquement pas de film sur sur Sarah Bernhardt. On peut quand même citer The Divine Woman de Victor Sjöström (1928), avec et pour Greta Garbo. Ainsi que The Incredible Sarah de Richard Fleischer (1976), où elle est incarnée par Glenda Jackson. Et peut-être l’insipide téléfilm Sarah Bernhardt, une étoile en plein jour de Laurent Jaoui (2008) où elle est interprété par Ludmila Mikaël. Aussi attendait-on avec intérêt le film de Guillaume Nicloux, annoncé comme un biopic (son premier dans une filmographie hétéroclite), curieux de voir comment cette vie remarquable et cette énorme documentation avaient été traitées, et avide de découvrir, peut-être, quelques secrets inconnus.
En fait, le film ne raconte que quelques jours dans la vie de l’actrice, son amputation en 1915, et ses suites, entouré d’un long flashback avec quelques allers-retours. Le scénario focalise surtout sur sa liaison avec Lucien Guitry (1860-1925), comme s’il s’agissait pour l’une et pour l’autre de l’amour d’une vie, alors que le surnom de Lucien, Divan le Terrible, n’était pas usurpé, et que leur histoire n’a duré que cinq ans, de 1893 à 1898.
Mais les scénaristes, sans doute pour lui donner un piquant supplémentaire, y ont introduit Charlotte Lysès (1877-1956), qui fut effectivement la maîtresse de Guitry père avant d’épouser Guitry fils. Pourquoi pas ? L’ennui, c’est que la rencontre Lucien-Charlotte n’eut lieu qu’en 1902 (et le mariage en 1907), ce qui met par terre la crédibilité historique de l’épisode, et peut-être d’autres moments du film si l’on voulait creuser un peu plus loin. Lorsque l’on se mêle d’utiliser des personnages réels, la moindre des choses, même si l’on ne prétend pas faire œuvre d’historien, c’est de respecter leur parcours. On ne mélange pas la Du Barry et la Pompadour.
Le film néglige également pas mal d’autres aspect de la vie de Sarah Bernhardt, par exemple son style de jeu, ou ses positions politiques - elle était dreyfusarde notamment. En revanche, on voit défiler, à toute allure, dans un grand numéro de name-dropping, Sigmund Freud, Émile Zola, Oscar Wilde, Victor Hugo... Et, puis, pour obéir à la tendance actuelle de trouver des femmes rebelles partout, Guillaume Nicloux lui fait tenir des propos carrément anachroniques, sur l’impossibilité pour une femme d’avoir un compte en banque ou sur la peine de mort. Comme si le fait d’être originale et non-conventionnelle entraînait automatiquement celui d’être précurseure.
Sarah Bernhardt fut sans doute la première star mondiale d’avant le cinéma et Rudolph Valentino (1895-1926), inutile d’en faire une suffragette. Sa liberté de mœurs et de comportements, elle la devait à son statut d’idole - une idole dont on a de la peine à comprendre la puissance lorsque l’on découvre son jeu d’actrice ampoulé, dans les rares films qu’elle a tournés, où elle est loin d’atteindre le génie des dive italiennes.
Sinon, le film est richement filmé, dans des décors bien reconstitués, avec des acteurs qui se donnent, même si certains sont irritants, comme Laurent Stocker ou Amira Casar. Sandrine Kiberlain, quant à elle, tient la route, bien que, malgré ses efforts, elle ait du mal à les faire, ses 72 ans.
Sol O’Brien
Jeune Cinéma en ligne directe
1. Les bibliothèques disposent d’une abondante documentation notamment iconographique. On peut citer aussi l’ouvrage de Marie Colombier, une des comédiennes de sa troupe, Le Voyage de Sarah Bernhardt en Amérique (1881). Et naturellement les mémoires de Sarah Bernhardt, Ma double vie (1907).
Sarah Bernhardt, la Divine. Réal : Guillaume Nicloux ; sc : G.N. & Nathalie Leuthreau ; ph : Yves Cape ; mont : Guy Lecorne et Karine Prido ; mu : Reynaldo Hahn ; déc : Olivier Radot ; cost : Anaïs Romand. Int : Sandrine Kiberlain, Laurent Lafitte, Laurent Stocker, Amira Casar, Grégoire Leprince-Ringuet, Pauline Étienne, Mathilde Ollivier, Clément Hervieu-Léger (France, 2024, 98 mn).