par Lucien Logette
Jeune Cinéma n°433, décembre 2024
Sortie le mercredi 1er janvier 2025
Pyramiden de Damien Faure est un film qui sort des sentiers battus et même de tous les sentiers, puisqu’il se passe sur l’île du Spitzberg, dans l’archipel du Svalbard, au nord du Grand Nord - trente îles, et plus d’ours polaires que d’habitants (moins de trois mille). Territoire exotique, qui appartient à la Norvège sans y appartenir vraiment : il se situe hors de l’espace Schengen et sa neutralité permet, paraît-il, à n’importe quel pays d’en exploiter les ressources. Ce qu’ont fait les Soviétiques, puis les Russes, entre 1926 et 1998, en construisant la ville-modèle de Pyramiden, destinée au millier de mineurs de charbon importés là-haut.
C’est elle que le héros, un chasseur solitaire à bout de ressources, va découvrir. Extraordinaire spectacle que cette cité-fantôme, typique de l’architecture stalinienne - tout est là, les logements, le gymnase, l’épicerie, l’hôtel pour les dirigeants de passage, la salle de cinéma, les bustes de Lénine -, intacte, comme abandonnée dans l’urgence.
Tout est en état de fonctionner. Le chasseur s’installe, mange, boit, dort à l’hôtel, se projette les films stockés dans la cabine de projection, pour la plupart des documentaires tournés dans la cité, entre sa fondation et son abandon, par et sur ses habitants, - sarabande de figurants fantomatiques qui évoquent les prisonniers du temps en boucle de L’Invention de Morel de Adolfo Bioy Casares (1).
Mais le confort ne suffit pas, on se lasse d’être l’ultime survivant d’une ville oubliée. Le chasseur finit par s’ennuyer, se voit réduit à s’inventer des doubles, avant de retourner dans sa cabane d’origine. Nul besoin de dialogue, évidemment, et la simple exploration de ce décor fantastique pourrait suffire à tenir la distance de ces 75 minutes.
Mais Damien Faure, auteur de plusieurs documentaires que nous ne connaissons pas, déploie ici un sens de l’action minuscule et du montage astucieux qui prouve que l’on peut retenir l’attention avec presque rien. On ne peut que le remercier de nous avoir fait découvrir ce Machu Picchu du septentrion, et lui souhaiter de trouver rapidement les spectateurs auxquels il a droit.
Un voyage dans un monde d’après l’apocalypse, quelle manière façon d’entamer une année aussi riche de promesses ?
Lucien Logette
Jeune Cinéma n°433, décembre 2024
1. Adolfo Bioy Casares, La invención de Morel, Buenos Aires, Losada, 1940. L’Invention de Morel, traduction de Armand Pierhal, Paris, Robert Laffont, 1973.
Cf. aussi "Entretien avec Damien Faure", Jeune Cinéma n°433, décembre 2024.
Pyramiden. Réal, sc, mont : Damien Faure ; ph : Julien Mata ; mont : Esther Frey ; mu : Xavier Roux. Int : David d’Ingéo (France, 2022, 75 mn).