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Personne n’y comprend rien (2024)
de Yannick Kergoat
publié le mercredi 8 janvier 2025

par Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma en ligne directe

Sortie le mercredi 8 janvier 2024


 


Non, ce n’est pas une fiction. C’est un documentaire qui fera gagner du temps à ceux qui suivent le procès du financement libyen de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy en 2007, sans avoir lu le gros livre de Fabrice Arfi & Karl Laske sur la question (1).


 


 

Deux journalistes de Médiapart, Fabrice Arfi et Michaël Hajdenberg, se présentent à l’écran, comme des témoins coopératifs, convoqués au bureau de l’enquêteur. Ils relatent méthodiquement ce qu’ils savent de cette affaire qu’ils ont commencé à décortiquer et à dévoiler, à leurs risques et périls, depuis 2011 - date de la contestable intervention militaire en Libye, sous l’égide de l’ONU, à laquelle la France a pris une part essentielle. Les explications sont illustrées de fortes bandes d’actualités.


 


 


 

À partir de la défense de Nicolas Sarkozy, qui clame que "personne n’y comprend rien", insinuant l’inanité des accusations dont on l’accable, les deux journalistes-comédiens racontent, comme dans un roman à suspense, les combines, et les manœuvres à rebondissements de divers supporters haut placés, pour trouver, dès 2005, de quoi faire le faire élire aux présidentielles de 2007. Il était alors le ministre de l’Intérieur de Dominique de Villepin.


 


 

Ça commence par un petit dessous de table de 50 millions convenu avec des affairistes libyens comme Ziad Takieddine (2) ou Béchir Salah (3), en échange d’une sympathie politique pour Mouammar Khadafi (1942-2011). Les journalistes ont mis la main sur une note probante de Moussa Koussa (4), datant de 2006. Premier résultat, lors de sa visite officielle au président Sarkozy, à Paris en décembre 2007, alors que sa responsabilité dans la destruction du DC10 d’UTA en 1989 n’était toujours pas digérée, le dirigeant libyen (de 1969 à 2011) a carrément pu planter sa tente dans le jardin de l’Hôtel de Marigny.


 


 

Les jounalistes détaillent ensuite le circuit de quelques enveloppes de 1,5 à 5 milions, avec les confessions, puis la rétractation, d’ailleurs peu explicitée, de Ziad Zakiedine sur ces oboles. Après la mise à mort de Mouammar Kadhafi, son fils fait état de 350 millions qui seraient à restituer par Nicolas Sarkozy pour trahison du contrat. Le tout sur fonds d’annonces de gros contrats se montant à des milliards, avec des commissions se montant à des à millions, des annonces non concrétisées pour la plupart.


 

L’aplomb de Nicolas Sarkozy dans ses réponses filmées est impressionnant. Il veut juste ridiculiser ses interlocuteurs auxquels il ne prête aucune légitimité, avec cette phrase savoureuse : "Je ne répondrai pas à Médiapart parce que ce n’est pas une officine journalistique, c’est une officine politique." Sans doute, considère-t-il que la politique ne se discute ni ne se justifie…


 


 

Ce qui frappe, ce n’est pas seulement ces transgressions financières assez récemment pénalisées, mais aussi que ces mœurs aient perduré avec de multiples combines irresponsables à tous niveaux. L’audience de la 32ème Chambre correctionnelle, avec sur le banc des prévenus, un ancien président et trois anciens ministres, ouverte le 6 janvier 2025, va durer jusqu’au 10 avril 2025 à Paris. Le 21 janvier 2025, c’est la Cour d’appel qui statuera sur le volet financier de l’affaire de Karachi, à une époque où Nicolas Sarkozy était ministre du Budget (1993-1995).


 

Fabrice Arfi, Michaël Hajdenberg et Yannick Kergoat ont pensé que la coïncidence du procès et de la sortie du film était une bonne opportunité. "On parle quand même d’une intrigue qui porte sur une démocratie, la nôtre, soupçonnée d’avoir été corrompue par une dictature, la Libye de Kadhafi, à laquelle on va finir par faire la guerre", dit Fabrice Arfi.


 


 

Yannick Kergoat, avant de passer à la réalisation, a d’abord été monteur multirécompensé. Le montage de son film est assez habile pour sélectionner, calibrer, classer les informations à illustrer, maintenir l’attention, la curiosité. Il permet au spectateur de comprendre que l’affaire est touffue et, pourtant, d’en retenir l’essentiel. Le film dans son ensemble peut à la fois donner au public les principales clés de l’histoire, et aussi démontrer que des contre-pouvoirs fonctionnent encore dans la démocratie française. Comme pour le scandale du Watergate (1972-1974), il est des libéralismes qui laissent encore place aux libres investigations salutaires, quand les affaires paraissent relever plus de l’Histoire que de la simple actualité.

Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma en ligne directe

* L’affaire Sarkozy/Khadafi, sur Médiapart.

1. Fabrice Arfi & Karl Laske, Avec les compliments du Guide. Sarkozy-Kadhafi, l’histoire secrète, Paris, Fayard, 2017.

2. Ziad Takieddine, homme d’affaires franco-libanais, intermédiaire dans des contrats internationaux, notamment pour l’industrie de l’armement. En juin 2020 il est condamné dans le volet financier de l’affaire Karachi à 5 ans de prison ferme avec mandat de dépôt. Il s’enfuit au Liban, pays, dont il a la nationalité, et qui n’extrade pas ses ressortissants.

3. Béchir Salah Béchir, haut fonctionnaire et diplomate libyen. Après l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République française en 2007, il est l’interlocuteur direct entre la Libye et la France.

4. Moussa Koussa, chef des services de sécurité et du renseignement extérieur entre 1994 et 2009, puis ministre des Affaires étrangères, démissionnaire en 2011.


Personne n’y comprend rien. Réal : Yannick Kergoat ; écriture : Y.K, Fabrice Arfi, Michaël Hajdenberg & Karl Laske ; ph : Étienne Mommessin ; Y.K. & Pauline Casalis ; mu : Éric Neveux ; narration : Florence Loiret Caille. Avec Fabrice Arfi, Julia Cagé, Patrick Haimzadeh, Danièle Klein Karl Laske, François Molins (France, 2024, 108 mn). Documentaire.



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